Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-81.183

Par un arrêt du 25 juin 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce sur les garanties procédurales encadrant le relevé d’office de la récidive légale par les juges du fond. Cette décision rappelle avec fermeté les exigences du contradictoire lorsque la juridiction entend substituer un nouveau premier terme de récidive à celui initialement visé par l’acte de poursuites.

Un individu avait été condamné le 13 juin 2023 par le tribunal correctionnel pour faux en récidive. Le premier terme retenu par les premiers juges était une condamnation définitive prononcée le 13 mars 2019 pour des faits identiques ou de même nature. Le prévenu a relevé appel de cette décision. La cour d’appel de Toulouse, par arrêt du 10 janvier 2024, a confirmé la culpabilité mais modifié le fondement de la récidive. Elle a considéré que la condamnation du 13 mars 2019 ne pouvait constituer le premier terme, les faits poursuivis ayant été commis entre mai et juillet 2019 alors que cette peine n’était ni expirée ni prescrite. Les juges d’appel ont relevé d’office un autre premier terme, à savoir une condamnation du 3 juin 2014 à un an d’emprisonnement pour des faits punis de dix ans, peine exécutée le 9 décembre 2016. Le prévenu a formé un pourvoi en cassation.

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : une cour d’appel peut-elle, sans méconnaître les droits de la défense, retenir d’office un premier terme de récidive différent de celui mentionné dans l’acte de poursuites sans avoir préalablement informé le prévenu et son avocat et sans les avoir mis en mesure de présenter leurs observations ?

La chambre criminelle casse partiellement l’arrêt au visa de l’article 132-16-5 du code pénal. Elle retient qu’il ne ressort ni de l’arrêt ni des notes d’audience que le prévenu et son avocat ont été mis en mesure de faire valoir leurs observations sur le premier terme de la récidive soulevé d’office.

Cette décision invite à examiner d’abord le cadre légal du relevé d’office de la récidive et ses conditions d’application (I), puis les conséquences du non-respect du contradictoire sur la validité de la décision (II).

I. Le relevé d’office de la récidive : une prérogative encadrée par la loi

L’article 132-16-5 du code pénal autorise la juridiction de jugement à relever d’office l’état de récidive légale (A), tout en subordonnant cette faculté au respect de garanties procédurales précises (B).

A. La faculté reconnue au juge de suppléer les carences de l’acte de poursuites

L’article 132-16-5 du code pénal dispose que « l’état de récidive légale peut être relevé d’office par la juridiction de jugement même lorsqu’il n’est pas mentionné dans l’acte de poursuites ». Cette disposition traduit la volonté du législateur de permettre une application effective des règles de la récidive. La circonstance aggravante ne doit pas échapper à la répression du seul fait d’une omission ou d’une erreur du ministère public dans la rédaction de l’acte de poursuites.

En l’espèce, la cour d’appel de Toulouse avait constaté que le premier terme visé par le tribunal correctionnel, soit la condamnation du 13 mars 2019, ne pouvait juridiquement fonder la récidive. Les faits poursuivis avaient été commis entre le 12 mai et le 31 juillet 2019, alors que la peine prononcée le 13 mars 2019 « n’était ni expirée, ni prescrite ». Cette situation rendait inapplicable le mécanisme de la récidive qui suppose, pour les délits, que la nouvelle infraction soit commise dans le délai de cinq ans suivant l’expiration ou la prescription de la peine antérieure.

Face à cette impossibilité juridique, les juges d’appel ont recherché un autre fondement. Ils ont identifié une condamnation du 3 juin 2014 à un an d’emprisonnement pour des faits punis de dix ans, peine exécutée le 9 décembre 2016. Les faits poursuivis ayant été commis moins de cinq ans après cette exécution, les conditions temporelles de la récidive étaient réunies. La cour d’appel a donc substitué ce nouveau premier terme à celui initialement retenu.

B. L’exigence d’une information préalable du prévenu

L’article 132-16-5 du code pénal assortit la faculté de relevé d’office de conditions strictes. Le texte prévoit que le prévenu doit avoir « été informé » au cours de l’audience et avoir « été mis en mesure d’être assistée d’un avocat et de faire valoir ses observations ». Ces exigences constituent la traduction, dans le domaine spécifique de la récidive, du principe fondamental du contradictoire.

La Cour de cassation relève qu’« il ne ressort ni de l’arrêt ni des notes d’audience que le prévenu et son avocat ont été mis en mesure de faire valoir leurs observations sur le premier terme de la récidive retenu, soulevé d’office ». Cette formulation est significative. La chambre criminelle exige une trace procédurale de l’information et de la possibilité offerte à la défense de s’exprimer. L’absence de mention dans les pièces de procédure équivaut à une violation des droits de la défense.

Cette exigence probatoire renforce l’effectivité du droit au contradictoire. La juridiction ne peut se contenter d’une information implicite ou présumée. Elle doit pouvoir justifier que le prévenu a été expressément avisé du nouveau fondement envisagé et qu’il a eu l’opportunité de présenter ses arguments.

II. La sanction du non-respect du contradictoire : une cassation protectrice des droits de la défense

Le défaut d’information du prévenu entraîne la cassation de l’arrêt (A), mais la Cour de cassation limite la portée de cette annulation aux seules dispositions affectées par l’irrégularité (B).

A. Une cassation fondée sur la méconnaissance des garanties procédurales

La chambre criminelle censure l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse en retenant qu’« en statuant ainsi, alors qu’il ne ressort ni de l’arrêt ni des notes d’audience que le prévenu et son avocat ont été mis en mesure de faire valoir leurs observations sur le premier terme de la récidive retenu, soulevé d’office, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ».

Cette motivation révèle l’importance que la Cour de cassation attache au respect du contradictoire en matière de récidive. La circonstance aggravante de récidive emporte des conséquences considérables sur le quantum de la peine encourue. Elle peut conduire au doublement du maximum légal. Le prévenu doit donc pouvoir contester tant la réalité de la condamnation antérieure que sa nature ou les conditions temporelles de la récidive.

En l’espèce, le changement de premier terme opéré par la cour d’appel n’était pas anodin. La condamnation du 3 juin 2014 portait sur des faits punis de dix ans d’emprisonnement, catégorie distincte de celle visée initialement. Le prévenu aurait pu contester l’assimilation des faits au sens de l’article 132-10 du code pénal ou discuter de la date exacte d’exécution de la peine. Le privé de cette possibilité porte atteinte à ses droits fondamentaux.

B. Une cassation partielle préservant l’autorité des dispositions non viciées

La Cour de cassation précise que « la cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la récidive et à la peine ». Elle ordonne que « les autres dispositions seront donc maintenues ». Cette technique de cassation partielle illustre le souci de proportionnalité qui anime désormais la chambre criminelle.

La déclaration de culpabilité pour faux n’est pas remise en cause. Seules les conséquences tirées de la récidive, tant sur la qualification que sur la peine, sont annulées. Le prévenu reste définitivement condamné pour l’infraction principale. La cour d’appel de renvoi n’aura à statuer que sur la question de la récidive et, le cas échéant, sur la peine à prononcer.

Cette limitation de la cassation présente un double avantage. Elle évite la remise en cause inutile de dispositions régulièrement adoptées. Elle permet également une nouvelle appréciation de la récidive dans le respect des garanties procédurales. La cour d’appel de Toulouse, autrement composée, devra informer le prévenu du premier terme de récidive qu’elle entend retenir et recueillir ses observations avant de statuer.

L’arrêt du 25 juin 2025 confirme ainsi l’attachement de la Cour de cassation au respect des droits de la défense dans le contentieux de la récidive. Il rappelle aux juridictions du fond que la faculté de relevé d’office n’est pas un pouvoir discrétionnaire mais une prérogative strictement encadrée par des garanties procédurales dont la méconnaissance entraîne la censure.

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Hassan KOHEN
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