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La décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 9 juillet 2025 illustre le mécanisme du rejet non spécialement motivé prévu par l’article 1014 du code de procédure civile. Une société avait formé un pourvoi contre un arrêt de la cour d’appel de Reims du 3 avril 2024, rendu dans le cadre d’un litige de droit du travail l’opposant à une salariée. La Haute juridiction, après avoir communiqué le dossier au procureur général et entendu les observations des avocats des parties, a estimé que le moyen de cassation invoqué n’était « manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Elle a rejeté le pourvoi, condamné la société aux dépens et au paiement de trois mille euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La question posée était celle de savoir si le moyen soulevé par la société présentait un caractère sérieux justifiant un examen approfondi par la Cour de cassation. Celle-ci y a répondu par la négative en recourant à la procédure simplifiée de l’article 1014. Cette décision invite à examiner le cadre juridique du filtrage des pourvois en cassation (I), puis à s’interroger sur les implications de cette technique pour les justiciables et l’office du juge de cassation (II).
I. Le mécanisme de filtrage des pourvois par l’article 1014 du code de procédure civile
A. Les conditions d’application de la procédure de rejet non motivé
L’article 1014 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, permet à la Cour de cassation de rejeter un pourvoi par une décision non spécialement motivée lorsque le moyen invoqué n’est « manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Cette formulation suppose une appréciation du caractère sérieux du moyen dès le stade de l’examen préalable. La Cour doit constater l’absence manifeste de fondement, ce qui exclut les hypothèses où le moyen soulèverait une difficulté juridique réelle, même vouée à l’échec. En l’espèce, la chambre sociale a considéré que cette condition était remplie. Le moyen unique présenté par la société ne présentait pas le degré de sérieux requis pour justifier une décision développée. La motivation se réduit à la constatation de l’évidence du caractère infondé du pourvoi.
Cette procédure repose sur une logique de rationalisation du contentieux. La Cour de cassation, confrontée à un afflux considérable de pourvois, dispose ainsi d’un instrument lui permettant de concentrer ses ressources sur les affaires soulevant de véritables questions de droit. Le mécanisme ne constitue pas un déni de justice puisque le pourvoi est examiné, mais il permet d’éviter une motivation détaillée lorsque celle-ci serait superflue.
B. La mise en œuvre procédurale dans la décision commentée
La décision du 9 juillet 2025 respecte scrupuleusement les exigences procédurales entourant le recours à l’article 1014. Le dossier a été communiqué au procureur général, conformément aux règles applicables. Les observations écrites des avocats des deux parties ont été recueillies. Des débats se sont tenus en audience publique le 11 juin 2025. La formation de jugement comprenait trois magistrates : une conseillère doyenne faisant fonction de présidente, une conseillère rapporteure et une conseillère. Ces éléments attestent que le pourvoi a bénéficié d’un examen contradictoire et collégial avant d’être écarté.
La structure même de la décision témoigne du caractère simplifié de la procédure. Deux paragraphes suffisent à exposer le raisonnement : le premier constate que le moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, le second en tire la conséquence procédurale. Le dispositif comprend le rejet du pourvoi, la condamnation aux dépens et l’allocation d’une indemnité au titre des frais irrépétibles. Cette concision contraste avec les arrêts classiques de la Cour de cassation mais répond à l’objectif poursuivi par le législateur.
II. Les enjeux du rejet non motivé pour l’administration de la justice
A. L’efficacité de la régulation du contentieux de cassation
Le recours à l’article 1014 participe d’une politique jurisprudentielle assumée de gestion des flux contentieux. La chambre sociale de la Cour de cassation traite chaque année plusieurs milliers de pourvois. Sans mécanisme de filtrage, l’engorgement compromettrait la qualité des décisions rendues sur les questions juridiques véritablement complexes. La procédure de rejet non motivé permet de traiter rapidement les pourvois dépourvus de chance de succès tout en préservant les garanties essentielles du procès équitable.
En l’espèce, la condamnation de la société aux dépens et au paiement de trois mille euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile produit un effet dissuasif. Cette somme, accordée à la salariée défenderesse, sanctionne économiquement l’exercice d’une voie de recours manifestement vouée à l’échec. La Cour de cassation adresse ainsi un signal clair : former un pourvoi en l’absence de moyen sérieux expose le demandeur à supporter les frais de procédure de son adversaire. Cette dimension économique de la décision contribue à la régulation du contentieux.
B. Les limites inhérentes à l’absence de motivation développée
La technique du rejet non motivé suscite des interrogations quant à la transparence de la justice. Le justiciable dont le pourvoi est écarté ne dispose d’aucune explication sur les raisons précises ayant conduit la Cour à considérer son moyen comme manifestement infondé. Cette opacité peut nourrir un sentiment d’incompréhension, particulièrement dans un litige de droit du travail où les enjeux humains et économiques sont significatifs. La société demanderesse ignore quelles faiblesses juridiques affectaient son argumentation.
Cette limite doit être relativisée. La Cour de cassation n’est pas juge du fond et son office consiste à contrôler la correcte application du droit par les juges du fond. Lorsqu’un moyen ne présente aucune chance de prospérer, une motivation détaillée n’apporterait aucune plus-value juridique. La décision commentée confirme que la cour d’appel de Reims a correctement statué, ce qui suffit à clore le litige. La portée de cette décision demeure limitée à l’espèce : elle ne crée aucun précédent, n’énonce aucune règle nouvelle et ne modifie pas l’état du droit positif. Son intérêt réside précisément dans ce qu’elle révèle du fonctionnement contemporain de la Cour de cassation et de l’équilibre recherché entre accès au juge suprême et efficacité de la justice.