Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 avril 2017 d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État concernant la fiscalité des plus-values mobilières. Un contribuable contestait la conformité à la Constitution du troisième alinéa de l’article 150-0 B du code général des impôts relatif aux échanges de titres.
Ce texte exclut le bénéfice du sursis d’imposition lorsque la soulte reçue par l’apporteur excède 10 % de la valeur nominale des titres remis en échange. Le requérant invoquait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il critiquait notamment l’existence d’un effet de seuil excessif et une différence de traitement injustifiée selon la présence d’une prime d’émission lors de l’opération.
La juridiction constitutionnelle devait déterminer si le critère de la valeur nominale pour limiter le sursis d’imposition respectait les facultés contributives des citoyens assujettis. Par sa décision n° 2017-638 QPC du 15 juin 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution.
**I. La validation d’un critère de seuil objectif et rationnel**
**A. La légitimité du recours à la valeur nominale des titres**
Le Conseil constitutionnel souligne que le législateur dispose de la liberté de fixer des critères objectifs pour définir l’assiette et les modalités de l’impôt. En choisissant la valeur nominale, l’autorité législative retient « un élément qui rend compte de l’importance de l’opération d’échange de titres au regard du capital social ». Ce choix permet d’apprécier la réalité de la restructuration d’entreprise sans dépendre des fluctuations parfois incertaines de la valeur vénale des titres sociaux.
Le juge constitutionnel précise que le principe d’égalité « n’oblige pas à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes » lors de l’application d’une règle. Le législateur n’était donc pas tenu de moduler le seuil de la soulte en fonction de l’existence ou de l’absence d’une prime d’émission. Cette approche garantit une simplicité de mise en œuvre pour l’administration fiscale tout en assurant une certaine prévisibilité juridique pour les contribuables concernés.
**B. L’absence d’atteinte disproportionnée aux facultés contributives**
L’exigence constitutionnelle de l’article 13 de la Déclaration de 1789 impose que la contribution commune soit répartie entre les citoyens en raison de leurs capacités. Le Conseil constitutionnel estime que fixer le seuil à 10 % de la valeur nominale ne crée pas de « rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ». Cette limite constitue une frontière raisonnable entre une opération de restructuration pure et une cession générant des liquidités immédiatement disponibles pour l’associé.
Les dispositions ne font pas peser une charge excessive puisque le refus du sursis d’imposition n’intervient que pour les opérations dégageant une part significative de numéraire. Le juge relève que ces modalités ne sont pas « manifestement inappropriées à l’objectif visé » par le législateur dans le cadre de sa compétence fiscale. L’équilibre ainsi trouvé préserve les droits des contribuables tout en encadrant strictement les avantages fiscaux liés aux reports ou sursis d’imposition.
**II. La conciliation entre incitation économique et lutte contre l’évasion fiscale**
**A. La poursuite d’objectifs d’intérêt général identifiés**
Le législateur a instauré le régime du sursis d’imposition afin de « favoriser les restructurations d’entreprises susceptibles d’intervenir par échanges de titres » au sein du tissu économique. Cette mesure vise à neutraliser temporairement la fiscalité des plus-values pour faciliter les mouvements de concentration ou de réorganisation sans pénaliser la trésorerie des apporteurs. L’intérêt général commande néanmoins de limiter cet avantage aux seules opérations dont l’objet principal demeure l’échange effectif de titres représentatifs du capital.
Le Conseil constitutionnel valide l’intention du législateur qui a voulu éviter que ne bénéficient du sursis des opérations dégageant une « proportion significative de liquidités » sous couvert d’échange. Cette volonté de lutter contre l’évasion fiscale justifie pleinement la mise en place d’un garde-fou chiffré pour encadrer le versement d’une éventuelle soulte. La soumission immédiate à l’impôt devient alors la conséquence logique d’une perception de numéraire qui s’apparente à une cession partielle et définitive.
**B. Une portée limitée aux conditions de bénéfice d’un avantage fiscal**
La décision précise que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un « pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » en matière fiscale. Le juge se borne à vérifier que les choix opérés ne méconnaissent aucun principe constitutionnel sans substituer sa propre appréciation à celle des représentants élus. Cette retenue jurisprudentielle est particulièrement marquée lorsque le litige porte sur les conditions d’octroi d’un régime dérogatoire tel que le sursis.
Le maintien de l’imposition de droit commun pour les échanges avec soulte importante ne constitue pas une sanction mais le simple retour au principe de taxation. Les plus-values mobilières sont normalement soumises à l’impôt « au titre de l’année de sa réalisation », ce qui rend la mesure parfaitement cohérente. Cette décision confirme ainsi la robustesse des seuils fiscaux dès lors qu’ils reposent sur des critères matériels vérifiables et dépourvus d’arbitraire manifeste.