Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, s’est prononcé sur la constitutionnalité de la loi de réforme pour la justice. Plusieurs groupes de députés et de sénateurs ont saisi l’institution afin de contester la validité de nombreuses dispositions législatives et de la procédure d’adoption. Les requérants soutenaient que le texte portait des atteintes excessives au droit à un recours effectif, au respect de la vie privée et aux droits de la défense. Le juge constitutionnel devait décider si la recherche d’une meilleure administration de la justice justifiait l’amoindrissement des garanties entourant les procédures civiles et pénales. Il a validé l’essentiel de la réforme structurelle tout en censurant les mesures d’enquête et de jugement attentatoires aux libertés individuelles les plus fondamentales. L’analyse de la rationalisation de l’organisation judiciaire précédera l’examen de la protection nécessaire des droits et libertés constitutionnellement garantis.
I. Une rationalisation de l’organisation judiciaire validée sous réserves
A. L’encadrement de la résolution amiable et de la déjudiciarisation
Le législateur a souhaité favoriser le règlement amiable des litiges en subordonnant certaines demandes civiles à une tentative préalable de médiation ou de conciliation. Le juge valide cette mesure sous la réserve que le pouvoir réglementaire précise les notions de motif légitime et de délai raisonnable d’indisponibilité du conciliateur. Cependant, la volonté de confier la révision des contributions alimentaires aux organismes débiteurs des prestations familiales a été fermement écartée par la juridiction. Le Conseil souligne que « le législateur a autorisé une personne privée à modifier des décisions judiciaires sans l’assortir de garanties suffisantes d’impartialité ». Cette mission de service public ne permettait pas de garantir l’absence d’intérêt financier de l’organisme dans la détermination du montant des créances. Cette volonté de déjudiciarisation s’accompagne d’une profonde transformation de l’architecture même des juridictions de droit commun.
B. La reconfiguration des structures juridictionnelles et des modes de jugement
La fusion des tribunaux d’instance et de grande instance au profit du tribunal judiciaire a été jugée conforme aux principes fondamentaux de l’organisation judiciaire. L’extension du jugement à juge unique est également validée car les « modalités de composition des formations de jugement sont sans effet sur l’obligation de respecter les droits de la défense ». Le législateur peut adapter l’organisation des juridictions tant que les garanties d’un procès équitable et le droit au recours effectif demeurent pleinement assurés. Néanmoins, le juge a censuré l’obligation de solliciter une formation collégiale dès l’acte d’appel car elle limitait de manière excessive l’accès à cette garantie procédurale. L’effort de modernisation des structures judiciaires se heurte cependant à une vigilance accrue lorsque les procédures pénales affectent l’intimité des citoyens.
II. Une protection vigoureuse des libertés face aux prérogatives répressives
A. La censure des techniques d’enquête attentatoires à la vie privée
Le texte prévoyait d’élargir le recours aux interceptions de correspondances électroniques et aux techniques spéciales d’enquête pour une multitude d’infractions pénales. Le juge censure ces mesures car il « n’a pas été opéré de conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée ». Ces mesures intrusives ne sauraient être appliquées à des délits ne présentant pas un caractère de particulière gravité ou une complexité manifeste. Ainsi, la protection du secret des correspondances et de l’inviolabilité du domicile constitue un rempart essentiel contre les risques d’arbitraire du pouvoir exécutif. Le Conseil rappelle que l’efficacité de la répression ne peut justifier une surveillance généralisée des communications privées sans un contrôle juridictionnel rigoureux.
B. La sauvegarde de la présentation physique et du contrôle judiciaire effectif
La généralisation de la visioconférence pour les débats sur la prolongation de la détention provisoire a fait l’objet d’une censure particulièrement remarquée par la doctrine. Le juge affirme « l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat » dans une procédure privative de liberté. L’extension de la durée de l’enquête de flagrance à seize jours a également été invalidée en raison de l’absence de garanties légales suffisantes et proportionnées. Le procureur ne peut se substituer au juge du siège pour autoriser des intrusions domiciliaires sans méconnaître les exigences constitutionnelles liées à la liberté individuelle. Ces censures réaffirment le rôle essentiel de l’autorité judiciaire, gardienne des libertés, face aux nécessités croissantes de l’efficacité de la procédure répressive.