Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article L. 2121-1 du code du travail à la Constitution. Cette disposition législative dresse la liste des sept critères cumulatifs nécessaires pour établir la représentativité des organisations syndicales au sein des entreprises. Un représentant d’une section syndicale et une union de syndicats contestaient l’obligation de transparence financière imposée aux syndicats n’ayant pas encore acquis leur représentativité.
Les requérants soutenaient que cette exigence portait atteinte à la liberté syndicale ainsi qu’au principe de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail. Ils invoquaient également une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi et du principe de séparation des pouvoirs par le législateur français. La Cour de cassation a transmis cette question au Conseil constitutionnel le 29 janvier 2020 après avoir constaté le caractère sérieux des griefs soulevés. Elle avait précédemment précisé que tout syndicat doit satisfaire au critère de transparence financière pour exercer ses prérogatives légales dans l’espace professionnel.
La juridiction constitutionnelle s’était déjà prononcée sur ce texte en 2010 mais elle a accepté de réexaminer la disposition en raison d’un changement de circonstances. Ce changement résulte directement de l’évolution de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation concernant les prérogatives des syndicats non représentatifs. Le Conseil devait donc déterminer si l’obligation de transparence financière imposée à tous les syndicats respecte les garanties constitutionnelles minimales offertes aux travailleurs.
Par sa décision du 30 avril 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré le troisième alinéa de l’article L. 2121-1 du code du travail conforme à la Constitution. Il estime que cette mesure permet aux salariés de vérifier l’indépendance des organisations syndicales sans pour autant entraver de manière excessive l’exercice de la liberté syndicale.
I. L’exigence de transparence financière face au changement de circonstances
A. La reconnaissance d’un changement de circonstances par l’interprétation jurisprudentielle
Le Conseil constitutionnel avait initialement validé le critère de transparence financière dans une décision datée du 12 novembre 2010 sans émettre de réserve particulière. Cependant, l’ordonnance du 7 novembre 1958 permet un nouvel examen d’une disposition déjà déclarée conforme si un changement de circonstances de droit ou de fait intervient. En l’espèce, la Cour de cassation a adopté en 2017 une interprétation nouvelle et contraignante de l’article contesté au détriment des syndicats les plus modestes.
Les juges constitutionnels relèvent que « pour pouvoir exercer des prérogatives dans l’entreprise, tout syndicat, qu’il soit ou non représentatif, doit satisfaire au critère de transparence financière ». Cette lecture extensive de la loi par la juridiction suprême modifie la portée effective de la norme initiale telle qu’elle avait été examinée auparavant. Le Conseil affirme alors qu’il « en découle un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées » par les requérants dans le cadre de cette procédure.
B. L’extension de l’obligation de transparence à l’ensemble des syndicats
La lettre de l’article L. 2121-1 du code du travail énumère les critères de représentativité sans distinguer explicitement le sort des syndicats qui ne la possèdent pas. L’interprétation constante des juges du fond impose désormais cette condition de transparence même pour la simple désignation d’un représentant de la section syndicale dans l’entreprise. Cette extension vise à uniformiser les obligations comptables au sein du paysage syndical français afin d’éviter toute zone d’ombre sur l’origine des fonds utilisés.
Le critère litigieux devient ainsi une condition de survie juridique pour les petites structures syndicales souhaitant s’implanter durablement dans une unité de production ou de service. Le Conseil constitutionnel prend acte de cette généralisation de la règle qui oblige chaque organisation à justifier de ses ressources auprès de ses propres mandants. L’analyse du fond de la décision permet de comprendre comment cette contrainte technique est conciliée avec les principes fondamentaux du droit social français.
II. Une conciliation proportionnée entre transparence et liberté syndicale
A. La poursuite d’un objectif de garantie de l’indépendance syndicale
Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur la nécessité de protéger les salariés en leur offrant une information fiable sur les syndicats qui les représentent. Il souligne qu’en imposant cette obligation, le législateur a voulu « permettre aux salariés de s’assurer de l’indépendance, notamment financière, des organisations susceptibles de porter leurs intérêts ». Cette finalité est jugée légitime au regard du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 garantissant la défense des droits par l’action syndicale.
L’indépendance financière constitue un pilier essentiel de la crédibilité des partenaires sociaux lors des négociations collectives avec les employeurs ou les autorités publiques. Une organisation dont les comptes seraient opaques ne pourrait garantir l’absence de pressions extérieures contraires aux intérêts des travailleurs dont elle a la charge. La transparence n’est donc pas une entrave mais une condition d’exercice d’une liberté syndicale effective et sincère dans le cadre du dialogue social.
B. L’assouplissement probatoire préservant l’exercice de l’action syndicale
Pour éviter que cette exigence ne devienne une barrière infranchissable, le Conseil constitutionnel rappelle que les modalités de preuve de la transparence financière sont souples. Un syndicat non représentatif peut démontrer sa régularité « soit par la production des documents comptables requis (…) soit par la production de tout autre document équivalent ». Cette alternative permet aux structures disposant de faibles moyens de prouver leur probité sans subir le coût parfois élevé d’une certification comptable formelle.
Cette souplesse garantit que les dispositions contestées « ne méconnaissent ni la liberté syndicale ni le principe de participation des travailleurs » protégés par le bloc de constitutionnalité. En validant ce dispositif, les sages confirment la constitutionnalité d’un droit syndical exigeant mais accessible à toutes les organisations respectant les règles minimales de la gestion démocratique. L’équilibre ainsi maintenu entre rigueur financière et liberté d’association assure la pérennité d’une démocratie sociale transparente et responsable au sein des entreprises.