Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 novembre 2020 par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Elles portent sur la conformité de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la procédure pénale durant l’épidémie. Dans cette affaire, des individus placés en détention provisoire ont vu leur titre de privation de liberté prolongé de plein droit. Les requérants soutiennent que cette mesure méconnaît la liberté individuelle protégée par l’article 66 de la Constitution française de 1958. La chambre criminelle de la Cour de cassation, par deux arrêts du 3 novembre 2020, a renvoyé ces questions au juge constitutionnel. Le problème juridique consiste à déterminer si une prolongation automatique de la détention provisoire respecte le contrôle nécessaire de l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel déclare la disposition contraire à la Constitution car elle ne prévoit aucune intervention systématique du magistrat à bref délai. L’analyse de cette décision portera d’abord sur la protection de la liberté individuelle avant d’examiner la sanction de la mesure exceptionnelle.
I. La protection constitutionnelle de la liberté individuelle contre l’automatisme législatif
A. Le mécanisme de la prolongation de plein droit
L’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoyait une extension automatique des délais de détention en raison de l’urgence sanitaire. Les mandats étaient « prolongés de plein droit de deux mois » pour les délits et de six mois pour les crimes. Cette mesure visait à éviter des libérations forcées dues au ralentissement de l’activité des tribunaux pendant le confinement national. Le législateur délégué a privilégié la continuité de la détention sur l’appréciation concrète de chaque situation par un magistrat du siège. La disposition privait ainsi les détenus du droit fondamental de voir leur situation examinée par un juge avant toute décision de maintien.
B. L’impératif d’un contrôle judiciaire effectif et rapide
Le juge constitutionnel rappelle que l’autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle selon les termes de l’article 66. La protection de cette liberté « ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Le magistrat doit vérifier si le maintien en cellule demeure nécessaire et proportionné aux objectifs de l’instruction ou du jugement. Une prolongation automatique écarte ce contrôle indispensable et transforme une mesure de sûreté exceptionnelle en une détention arbitraire par sa durée. L’absence d’examen systématique constitue une violation directe des prérogatives constitutionnelles dévolues au juge judiciaire en matière de privation de liberté.
II. L’inconstitutionnalité d’un dispositif attentatoire à la sûreté
A. La disproportion manifeste du dispositif dérogatoire
Le Conseil reconnaît que la sauvegarde de l’ordre public et la recherche des auteurs d’infraction constituent des objectifs de valeur constitutionnelle. Cependant, ces motifs ne justifient pas que le maintien en détention soit « soustraite au contrôle systématique du juge judiciaire » durant plusieurs mois. Le magistrat aurait pu intervenir par des moyens numériques ou des aménagements procéduraux sans compromettre gravement la sécurité sanitaire globale. Le dispositif contesté sacrifiait ainsi excessivement les droits de la défense sur l’autel de contraintes matérielles liées à l’organisation judiciaire. La décision souligne que la nécessité du maintien en détention doit obligatoirement faire l’objet d’une appréciation humaine et juridictionnelle régulière.
B. La modulation des effets de la décision d’abrogation
La déclaration d’inconstitutionnalité entraîne l’abrogation immédiate de l’article 16 de l’ordonnance car cette disposition n’est plus en vigueur aujourd’hui. Le Conseil refuse toutefois de remettre en cause les effets passés des prolongations déjà effectuées sous l’empire de ce texte vicié. Une telle rétroactivité aurait des « conséquences manifestement excessives » sur l’ordre public en provoquant la libération immédiate de nombreux prévenus. Les sages de la rue de Montpensier protègent ainsi la sécurité juridique tout en sanctionnant une dérive législative particulièrement dangereuse. Cette solution de compromis illustre la volonté de concilier le respect des principes fondamentaux avec les exigences concrètes de la justice pénale.