Le Conseil constitutionnel a rendu, le 7 mai 2021, une décision importante concernant les droits des personnes condamnées lors de l’exécution de leur peine au sein de l’Union européenne. Saisi par le Conseil d’État le 16 février 2021 d’une question prioritaire de constitutionnalité, le juge devait examiner la conformité de plusieurs dispositions du code de procédure pénale. Ces textes encadrent la procédure de reconnaissance mutuelle des condamnations pénales définitives prononcées par les juridictions françaises ou d’autres États membres. Une association requérante soutenait que l’absence de recours contre les décisions du procureur de la République méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif.
La procédure de transfèrement permet l’exécution d’une condamnation dans un État membre afin de faciliter la réinsertion sociale de la personne détenue. Le litige portait précisément sur les articles 728-15 et 728-22 du code de procédure pénale qui attribuent une compétence exclusive au ministère public. Ce dernier peut décider d’office de transmettre une demande de reconnaissance de condamnation ou refuser de solliciter un autre État malgré la demande de l’intéressé. L’association soutenait que ces choix, lourdement impactants pour le condamné, échappaient à tout contrôle judiciaire indépendant.
Le problème de droit soumis au Conseil constitutionnel consistait à savoir si l’absence de voie de recours contre les décisions du parquet relatives au transfèrement méconnaissait l’article 16 de la Déclaration de 1789. Le juge constitutionnel devait déterminer si le pouvoir souverain du procureur portait une atteinte substantielle au droit des personnes d’exercer un recours devant une juridiction. Cette question obligeait à confronter l’efficacité de la coopération judiciaire européenne aux exigences fondamentales de la protection des libertés individuelles.
Le Conseil constitutionnel déclare les dispositions contestées contraires à la Constitution en raison de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif. Il relève que le législateur n’a prévu aucune voie de droit permettant de contester les décisions de transmission, de refus ou de retrait. Cette censure est toutefois assortie d’un report des effets de l’abrogation au 31 décembre 2021 pour préserver la sécurité juridique. Il convient d’analyser l’affirmation du droit au recours face aux prérogatives du ministère public avant d’étudier la portée de cette décision sur la procédure pénale.
**I. L’affirmation du droit au recours face aux prérogatives du ministère public**
**A. L’insuffisance du cadre législatif relatif au transfèrement des condamnés**
Le code de procédure pénale confie au seul représentant du ministère public la gestion des demandes de reconnaissance et d’exécution des peines en Europe. L’article 728-15 prévoit ainsi que le procureur « peut décider la transmission lorsque les conditions prévues à l’article 728-11 sont réunies ». Ce magistrat dispose d’une marge d’appréciation étendue pour estimer si l’exécution de la peine à l’étranger facilitera effectivement la réinsertion de l’intéressé. Il agit d’office ou à la demande du condamné, mais son évaluation reste discrétionnaire et échappe au contrôle du juge du siège.
La loi ne prévoyait aucune modalité de contestation, laissant le condamné dans une situation d’impuissance juridique face à une décision modifiant radicalement son exécution. Le Conseil constitutionnel souligne cette lacune en précisant que « aucune autre disposition législative ne permet à la personne condamnée de contester devant une juridiction » ces mesures. L’absence de débat contradictoire devant une autorité indépendante privait ainsi le justiciable de la possibilité de discuter les motifs retenus par le parquet. Cette organisation procédurale privilégiait la célérité des échanges internationaux au détriment des garanties procédurales minimales dues à chaque justiciable condamné.
**B. La méconnaissance caractérisée du droit à un recours juridictionnel effectif**
Le juge fonde sa censure sur l’article 16 de la Déclaration de 1789, affirmant qu’il « ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées ». Le Conseil constitutionnel estime que la décision de transfèrement entraîne des conséquences majeures pour la personne condamnée, notamment sur son régime de détention. Le changement d’État d’exécution modifie les conditions de libération anticipée et l’environnement social ou familial dans lequel la peine s’exécute. Ces enjeux imposent que la décision initiale puisse faire l’objet d’un examen attentif par un tribunal indépendant et impartial.
L’argument du Gouvernement reposant sur l’existence éventuelle d’un recours dans l’État d’exécution est fermement écarté par les juges du Palais Royal. La décision énonce qu’un recours étranger « ne saurait constituer une garantie du droit à un recours juridictionnel effectif à l’encontre d’une décision prise par une autorité française ». Le Conseil rappelle ainsi que la protection des droits constitutionnels doit être assurée au sein de l’ordre juridique national de manière autonome. La reconnaissance mutuelle européenne ne peut dispenser l’État français de respecter ses propres engagements fondamentaux envers les personnes placées sous sa juridiction.
**II. La portée de la censure constitutionnelle sur la procédure d’exécution des peines**
**A. La nécessaire judiciarisation des décisions administratives du procureur**
La déclaration d’inconstitutionnalité impose au législateur une révision profonde de la nature juridique des décisions prises par le procureur en matière de transfèrement. Ces actes, autrefois considérés comme des mesures d’administration judiciaire, doivent désormais intégrer un cadre processuel permettant une saisine juridictionnelle effective. Le Conseil constitutionnel précise que l’absence de recours est inconstitutionnelle pour les décisions de demander l’exécution, pour les refus de demande et pour les retraits. Cette approche globale garantit une protection uniforme du condamné tout au long de la procédure de coopération pénale européenne.
Cette judiciarisation marque une évolution vers un contrôle accru des actes du ministère public lorsqu’ils touchent à la situation matérielle des détenus. Le législateur doit désormais instaurer un juge de contrôle, tel que le juge des libertés et de la détention ou le tribunal correctionnel. La décision suggère que la réinsertion sociale, critère central du transfèrement, nécessite un débat juridictionnel pour vérifier la réalité des garanties offertes. Cette transformation renforce la cohérence du droit de l’exécution des peines avec les standards européens de protection des droits de l’homme.
**B. L’encadrement temporel des effets de l’abrogation législative**
Malgré la gravité de l’inconstitutionnalité constatée, le Conseil constitutionnel décide de différer l’abrogation des dispositions législatives au 31 décembre 2021. Il considère en effet que « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution entraînerait des conséquences manifestement excessives ». Ce report vise à laisser au Parlement le temps nécessaire pour adopter un nouveau dispositif législatif conforme aux exigences constitutionnelles. Cette technique de modulation des effets dans le temps protège la continuité des procédures de coopération judiciaire en cours entre la France et ses partenaires.
Le juge précise également que les mesures prises avant cette date ne pourront pas être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité spécifique. Cette réserve protège la validité des transfèrements déjà réalisés et évite une déstabilisation majeure du système pénitentiaire et judiciaire français. La décision concilie ainsi la nécessaire protection des droits fondamentaux avec l’impératif de sécurité juridique inhérent à la gestion des peines criminelles. Elle invite toutefois le législateur à une réaction rapide pour mettre fin à cette situation de vide juridique protecteur.