Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-6116 AN du 19 mai 2023

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 17 mai 2023, une décision relative au contentieux électoral des députés élus lors du scrutin législatif de juin 2022. Cette affaire porte sur le respect des obligations comptables imposées aux candidats ayant obtenu au moins un pour cent des suffrages exprimés lors du vote. Un candidat aux élections législatives en Polynésie française n’a pas déposé son compte de campagne dans les délais légaux malgré les prescriptions du code électoral. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi le juge constitutionnel le 6 février 2023 suite à ce constat manifeste. Le candidat concerné n’a produit aucune observation pour justifier cette omission durant l’instruction contradictoire menée par les services du secrétariat général du Conseil. La question posée est de savoir si l’absence totale de dépôt du compte de campagne constitue un manquement justifiant le prononcé d’une mesure d’inéligibilité. Le juge estime que ce manquement présente une gravité particulière et déclare le candidat inéligible pour une durée ferme de trois années consécutives. L’examen de la décision permet d’étudier la caractérisation du manquement aux règles de financement avant d’envisager les modalités d’application de la sanction d’inéligibilité.

I. La caractérisation d’un manquement grave aux obligations de financement

A. L’exigence impérative du dépôt des comptes de campagne

L’article L. 52-12 du code électoral impose à chaque candidat d’établir un compte de campagne dès lors qu’il a obtenu un pour cent des suffrages. Ce document doit retracer « l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection » visée. Le dépôt doit intervenir au plus tard le dixième vendredi suivant le premier tour du scrutin auprès de la commission nationale compétente en la matière. Cette formalité garantit la transparence financière et assure l’égalité entre les candidats lors de la compétition politique organisée par les pouvoirs publics. En l’espèce, le candidat était tenu à cette obligation puisqu’il avait franchi le seuil des voix nécessaires lors de l’élection législative de juin. Le non-respect de ce calendrier légal fragilise le contrôle démocratique exercé sur les fonds utilisés durant la période électorale par les différents compétiteurs.

B. L’absence de justification face au défaut de dépôt

Le juge constitutionnel vérifie systématiquement si des circonstances particulières pourraient expliquer le non-respect des délais ou des formes prescrites par le code électoral. La décision relève expressément qu’il « ne résulte pas de l’instruction que des circonstances particulières étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations » légales. Cette absence de justification renforce le caractère fautif de l’omission commise par le candidat qui n’a pas produit de défense durant la procédure. L’indifférence du justiciable face à ses devoirs comptables empêche toute clémence de la part des sages qui constatent simplement la réalité matérielle de l’infraction. Le manquement est donc établi sans qu’aucun événement extérieur ne vienne atténuer la responsabilité du candidat dans la gestion de ses finances de campagne. Cette constatation du manquement par le juge constitutionnel conduit logiquement à l’étude des conséquences juridiques attachées à une telle méconnaissance des règles comptables.

II. L’application rigoureuse de la sanction d’inéligibilité

A. La reconnaissance d’un manquement d’une particulière gravité

L’article L.O. 136-1 permet au Conseil constitutionnel de déclarer inéligible le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions prescrites. La jurisprudence exige toutefois que ce défaut de dépôt soit constitutif d’un « manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales » actuelles. L’absence totale de transmission des pièces comptables est traditionnellement considérée comme l’une des fautes les plus lourdes par le juge de l’élection nationale. Le Conseil souligne ici la « particulière gravité de ce manquement » pour justifier le prononcé d’une sanction privative du droit de se présenter au suffrage. Cette qualification juridique repose sur l’importance capitale que revêt le compte de campagne pour la sincérité du scrutin et le contrôle des plafonds. Le juge refuse ainsi de banaliser l’omission du dépôt qui constitue une rupture inacceptable du pacte républicain régissant le financement de la vie politique.

B. La détermination de la durée de l’inéligibilité

La décision du 17 mai 2023 fixe la durée de l’inéligibilité à trois ans à compter de la date de son prononcé officiel. Cette durée s’inscrit dans la fourchette prévue par la loi organique qui permet au juge constitutionnel de moduler la sanction selon la situation. En prononçant une inéligibilité de trois ans, le Conseil manifeste sa volonté de punir sévèrement une négligence qui s’apparente à un mépris des règles. La sanction frappe tout mandat électif, ce qui écarte temporairement le candidat de la scène politique pour une période significative durant les prochaines années. Cette mesure assure l’effectivité de la règle de droit en montrant que l’impunité n’existe pas pour les candidats négligeant leurs obligations financières fondamentales. La décision sera notifiée et publiée au Journal officiel afin de garantir son opposabilité immédiate à l’égard des tiers et de l’administration préfectorale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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