Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-6298 SEN du 20 septembre 2024

Le Conseil constitutionnel, par une décision du 20 septembre 2024, s’est prononcé sur la régularité du financement de la campagne d’un candidat aux élections sénatoriales. Un candidat a directement réglé certaines dépenses électorales sans passer par l’intermédiaire obligatoire de son mandataire financier préalablement désigné par ses soins. La Commission a rejeté son compte de campagne pour méconnaissance des règles de paiement direct et a saisi le juge constitutionnel d’une demande d’inéligibilité.

La décision de rejet prise par la Commission le 26 février 2024 repose sur le règlement direct par le candidat de dépenses s’élevant à 3 998 euros. Le candidat fait valoir en défense que l’intégralité des dépenses figurait dans son compte et que le contrôle de l’autorité administrative restait possible.

Le litige porte sur l’interprétation des dispositions autorisant exceptionnellement le règlement de menues dépenses par le candidat en dehors de l’intervention de son mandataire financier. La question est de savoir si un manquement substantiel à cette règle de procédure impose systématiquement le prononcé d’une inéligibilité par le juge électoral. Le Conseil constitutionnel confirme le bien-fondé du rejet du compte de campagne mais refuse de déclarer l’inéligibilité en l’absence de fraude ou de dissimulation.

I. Le constat d’une irrégularité substantielle dans le financement électoral

A. Le monopole de principe du mandataire financier pour le règlement des dépenses

Le juge rappelle qu’« il appartient au mandataire financier désigné par le candidat de régler les dépenses engagées en vue de l’élection » selon le code électoral. Cette obligation garantit la transparence des flux financiers et permet une traçabilité rigoureuse des fonds utilisés durant la période de la campagne électorale. Le recours au mandataire constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance fragilise la sincérité des comptes présentés à la fin de la période électorale.

L’exception relative aux menues dépenses payées directement reste strictement encadrée par la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel pour éviter tout contournement de la loi. Le candidat ne peut régler lui-même que des sommes dont le montant est « faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne » concerné. Cette dérogation exige également que les sommes soient négligeables au regard du plafond légal de dépenses autorisé pour la circonscription électorale où le candidat concourt.

B. Le rejet du compte fondé sur l’importance des paiements directs

Dans cette espèce, le candidat a procédé au règlement direct de dépenses pour une somme totale s’élevant à près de quatre mille euros durant sa campagne. Le Conseil constitutionnel estime que ce montant ne peut être considéré comme une menue dépense au sens des dispositions impératives du code électoral applicable. La Commission a donc valablement rejeté le compte car le mandataire financier n’a pas assuré son rôle central de centralisateur unique des dépenses engagées.

L’irrégularité est ainsi établie matériellement dès lors que le candidat a méconnu les obligations prévues à l’article L. 52-4 pour la gestion de ses fonds. Le juge constitutionnel souligne que « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte » litigieux. Cette confirmation de la décision administrative marque la volonté de maintenir une discipline stricte dans l’exécution des budgets électoraux par les différents prétendants.

II. La modération souveraine du juge constitutionnel face à l’inéligibilité

A. L’appréciation de la gravité du manquement aux règles de financement

Le prononcé d’une inéligibilité n’est plus une conséquence automatique du rejet du compte de campagne depuis les réformes législatives ayant assoupli le régime des sanctions. Le juge dispose désormais d’un pouvoir d’appréciation souverain pour moduler sa réponse en fonction de la gravité réelle des manquements constatés durant l’instruction du dossier. L’article L.O. 136-1 du code électoral subordonne la sanction à l’existence d’une « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité » aux règles financières.

Le Conseil examine si le dépassement constaté procède d’une intention délibérée de fausser le scrutin ou de dissimuler l’origine occulte de certains financements électoraux. Il convient d’analyser si l’omission du mandataire a réellement entravé la mission de contrôle dévolue à la Commission ou si l’information est restée disponible. Cette analyse in concreto permet de distinguer les erreurs purement matérielles ou de gestion des véritables stratégies de fraude électorale visant à rompre l’égalité.

B. L’absence de volonté de fraude comme motif de dispense de sanction

Le juge relève que le manquement en cause ne résulte pas d’une volonté de dissimulation puisque toutes les factures ont été produites lors du dépôt. L’instruction démontre que le candidat a fourni « les informations et les justificatifs nécessaires au contrôle de la licéité des dépenses et des recettes » de sa campagne. L’absence de fraude caractérisée conduit le juge à écarter la sanction suprême de l’inéligibilité malgré la réalité incontestable de l’irrégularité commise initialement.

Cette solution protectrice du mandat électif se fonde sur les « circonstances particulières de l’espèce » et sur la bonne foi apparente de l’élu durant la procédure. Le Conseil constitutionnel décide qu’il n’y a pas lieu de prononcer l’inéligibilité du sénateur dont l’élection n’est pas remise en cause par ce seul fait. La décision préserve ainsi l’expression du suffrage universel tout en rappelant la force obligatoire des principes qui régissent le financement de la vie politique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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