Conseil constitutionnel, Décision n° 89-262 DC du 7 novembre 1989

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 7 novembre 1989, une décision portant sur une loi instaurant une immunité pour les rapports des missions gouvernementales. Le législateur désirait soustraire les parlementaires à toute action civile ou pénale pour le contenu de travaux réalisés durant une mission temporaire du Gouvernement. Une saisine déposée par plusieurs députés contestait cette extension du régime de l’irresponsabilité fonctionnelle au motif qu’elle excédait le cadre du mandat législatif. Le texte prévoyait qu’aucune action ne pourrait être engagée suite au rapport d’un parlementaire chargé d’une mission en application du code électoral.

La question posée consistait à déterminer si un rapport établi pour le compte du pouvoir exécutif pouvait être considéré comme un acte de fonction parlementaire. Il importait également d’examiner si une telle exonération de responsabilité respectait le principe constitutionnel d’égalité devant la loi pénale et civile. Le Conseil constitutionnel a jugé que ces missions ne relevaient pas de l’exercice des fonctions législatives et a censuré la loi pour rupture d’égalité. L’étude de cette décision exige d’analyser d’abord l’interprétation stricte du mandat parlementaire avant d’envisager la protection du principe d’égalité contre les privilèges absolus.

I. La distinction entre mission gouvernementale et mandat parlementaire

A. L’exclusion des actes extra-parlementaires du champ de l’irresponsabilité L’article 26 de la Constitution protège les opinions et les votes émis par les membres du Parlement uniquement dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. Le Conseil constitutionnel relève que le rapport d’un parlementaire établi pour le compte du Gouvernement « ne saurait être regardé comme un acte accompli par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Cette interprétation rigoureuse sépare nettement les activités internes aux assemblées des tâches accomplies pour le compte exclusif du pouvoir exécutif. La juridiction précise d’ailleurs qu’une telle mission peut être confiée par le Gouvernement à une personne étrangère au Parlement national. Cette possibilité de substitution confirme le caractère administratif et non législatif de la mission exercée par l’élu durant ce laps de temps précis.

B. Le maintien du statut de parlementaire sans extension fonctionnelle Le bénéficiaire de la mission temporaire continue d’appartenir au Parlement et conserve l’usage de son droit de vote par le mécanisme de la délégation. Il bénéficie également de l’inviolabilité protégeant sa personne physique contre les mesures restrictives de liberté durant la totalité de la durée de son mandat. Toutefois, cette appartenance organique ne suffit pas à transformer chaque acte de l’élu en un acte protégé par le régime de l’irresponsabilité fonctionnelle. La décision souligne que la dérogation prévue par le code électoral a pour seul objet de permettre le cumul temporaire des fonctions publiques. Elle ne saurait donc emporter un élargissement du privilège constitutionnel d’irresponsabilité aux rapports rédigés en dehors du cadre strictement parlementaire habituel.

Cette limitation rigoureuse du champ fonctionnel de la protection constitutionnelle justifie alors l’application immédiate des principes supérieurs d’égalité devant la loi.

II. La censure d’une immunité absolue au nom du principe d’égalité

A. L’interdiction d’exonérations pénales absolues pour des actes non fonctionnels La loi déférée instaurait un régime d’irresponsabilité civile et pénale total pour les actes accomplis durant ces missions gouvernementales effectuées par les membres du Parlement. Le Conseil constitutionnel rappelle que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à une différenciation entre des agissements de nature juridique différente. Néanmoins, pour des infractions identiques, la loi ne peut instituer « au profit de quiconque une exonération de responsabilité à caractère absolu » sans violer la Constitution. Une telle disposition porterait une atteinte disproportionnée aux droits des victimes et à l’autorité nécessaire de la règle pénale commune à tous. L’exonération absolue est ici jugée contraire aux exigences constitutionnelles car elle ne repose sur aucune nécessité inhérente à la fonction de législateur.

B. La réaffirmation de la valeur constitutionnelle de l’égalité devant la loi Les juges se fondent sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme ainsi que sur l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958. La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse, sans aucune distinction injustifiée entre les différents citoyens. En tentant de créer une protection exorbitante pour des actes étrangers au débat parlementaire, le législateur a méconnu cette règle fondamentale du droit. La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article unique de la loi sanctionne ainsi une tentative de création d’un privilège personnel totalement injustifié. Cette décision garantit que l’immunité fonctionnelle demeure une exception étroitement liée à l’indépendance nécessaire du pouvoir législatif face aux autres autorités.

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Hassan KOHEN
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