Le Conseil constitutionnel a rendu, le 21 février 1992, une décision fondamentale concernant la loi organique modifiant l’ordonnance relative au statut de la magistrature. Ce texte intervient dans un contexte de réforme législative visant à moderniser les règles de carrière et de discipline des magistrats de l’ordre judiciaire. Saisi par soixante-cinq députés, le juge constitutionnel doit se prononcer sur la conformité de nombreuses dispositions touchant à l’indépendance de l’autorité judiciaire. La question centrale porte sur l’étendue de la compétence du législateur organique et sur les limites des délégations au pouvoir réglementaire en matière statutaire. Le Conseil affirme l’irrecevabilité de la saisine parlementaire pour les lois organiques et censure plusieurs dispositions pour incompétence négative ou méconnaissance de l’égalité.
I. L’encadrement rigoureux de la procédure et de la compétence organique
A. L’exclusivité de la saisine obligatoire pour les lois organiques
Le Conseil constitutionnel précise d’emblée les modalités de son contrôle en rappelant le caractère spécifique des lois régissant les institutions de la République. Il énonce que « la transmission obligatoire du texte au Conseil constitutionnel effectuée en application des dispositions précitées est exclusive de toute autre procédure ». Cette interprétation stricte des articles 61 et 63 de la Constitution interdit aux membres du Parlement de déférer eux-mêmes une loi organique.
La décision souligne que la procédure de transmission par le Premier ministre fait « obstacle à ce que le Conseil constitutionnel puisse être saisi sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 61 ». Cette solution garantit une vérification systématique du texte tout en préservant la célérité nécessaire à la mise en œuvre des réformes organiques indispensables. Bien que les demandes des députés soient déclarées irrecevables, le juge exerce néanmoins son contrôle intégral sur l’ensemble des articles du texte soumis.
B. La sanction de l’incompétence négative du législateur organique
Le juge constitutionnel rappelle que le domaine de la loi organique portant statut des magistrats doit être strictement respecté par le Parlement lui-même. Il considère que le législateur doit « déterminer lui-même les règles statutaires applicables aux magistrats » sans pouvoir déléguer excessivement sa compétence au pouvoir réglementaire. En laissant à un décret le soin de définir la nature des activités privées interdites après les fonctions, la loi a méconnu cette obligation.
Le Conseil censure ainsi l’article 15 car la loi organique « est restée en deçà de la compétence qui est la sienne en vertu de l’article 64 ». La même rigueur est appliquée aux règles de rémunération des magistrats en service extraordinaire, lesquelles ne peuvent être renvoyées sans justification suffisante à un décret. La protection du statut judiciaire impose que les garanties fondamentales soient directement fixées par le texte organique conformément aux exigences constitutionnelles.
II. La protection de l’équilibre institutionnel et des principes fondamentaux
A. La préservation des prérogatives de nomination du pouvoir exécutif
Le Conseil constitutionnel s’oppose fermement à l’introduction d’un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations des magistrats du siège. Il relève que l’article 65 de la Constitution distingue clairement les propositions faites par cet organisme des avis qu’il émet sur les propositions ministérielles. Imposer un caractère contraignant à cet avis reviendrait à « faire dépendre la décision de l’autorité de nomination de l’avis de cet organisme ».
Cette analyse repose sur le respect de l’article 13 de la Constitution qui attribue au Président de la République le pouvoir de nomination aux emplois civils. La loi organique ne saurait « obliger le garde des sceaux à recueillir l’avis conforme » sans méconnaître la répartition des compétences voulue par le constituant. Le juge constitutionnel maintient ainsi l’équilibre entre l’indépendance de la magistrature et l’autorité de nomination dévolue au chef de l’État.
B. L’application stricte de l’égalité dans le déroulement de la carrière
Le respect du principe d’égalité de traitement des magistrats constitue un axe majeur de la réflexion du Conseil tout au long de son examen. Il censure les dispositions relatives aux incompatibilités électorales car elles omettaient sans justification la situation de certains élus locaux ou territoriaux. Une telle distinction est jugée « dépourvue de toute justification » au regard des principes découlant de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le juge constitutionnel invalide également l’interdiction faite aux seuls membres élus des commissions statutaires de recevoir des distinctions dans les ordres nationaux. Il affirme que « l’édiction en ce domaine d’une prohibition applicable aux seuls magistrats élus » est contraire au principe d’égalité entre tous les juges. Cette protection assure que l’engagement des magistrats dans la gestion de leur corps ne puisse entraîner de discriminations injustifiées dans leur carrière.