La Cour administrative d’appel de Douai a rendu un arrêt le 20 mars 2025 relatif à la responsabilité d’une autorité concédante pour éviction irrégulière. Le litige porte sur la passation d’un contrat de concession pour l’exploitation d’un complexe aquatique intercommunal pour une durée de six ans. Une société évincée contestait le choix de l’attributaire, dont l’offre se fondait sur une convention collective jugée inapplicable aux activités exercées. Le Tribunal administratif d’Amiens avait limité l’indemnisation aux frais d’études en niant l’existence d’une chance sérieuse de remporter le contrat. La juridiction d’appel doit déterminer si le recours à une convention collective erronée entache l’offre d’une irrégularité imposant son rejet immédiat. Elle doit ensuite apprécier si l’évincé disposait d’une chance sérieuse d’obtenir la concession pour prétendre à l’indemnisation de son manque à gagner. L’arrêt sera d’abord commenté au regard du constat de l’irrégularité de l’offre, avant d’envisager les modalités de la réparation du préjudice subi.
I. L’irrégularité de l’offre fondée sur un référentiel social erroné
La juridiction administrative affirme d’abord que le respect des règles sociales impératives constitue une condition de régularité des offres dans la commande publique.
A. Le caractère principalement sportif de la mission de gestion du complexe
Pour identifier la convention collective applicable, les juges se fondent sur l’activité principale définie par le règlement de la consultation et les missions déléguées. Le centre comprenait divers bassins et un espace de remise en forme dont les caractéristiques révèlent une finalité essentiellement liée à la pratique sportive. La Cour estime que « l’activité que ce dernier serait appelé à exercer dans ce cadre doit être regardée comme consistant en la gestion d’un équipement dont la vocation est principalement sportive ». Les espaces ludiques et de détente ne présentent qu’un caractère accessoire et ne suffisent pas à justifier l’application de la convention des espaces de loisirs.
B. L’obligation pour l’autorité concédante d’écarter l’offre irrégulière
Le juge précise qu’une offre mentionnant une convention inapplicable méconnaît les principes de la commande publique et doit être écartée par la personne publique. Il est ainsi jugé qu’une « offre finale mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable ne saurait être retenue par l’autorité concédante ». Cette obligation de rejet s’impose alors même que le règlement de la consultation ne prévoyait pas explicitement de contrôle sur la convention collective choisie. L’application de stipulations sociales erronées fausse l’évaluation des coûts de fonctionnement et porte atteinte à l’égalité de traitement entre les entreprises candidates. L’irrégularité fautive ouvre alors la voie à l’examen des droits à indemnisation de la candidate dont l’offre n’a pas été retenue.
II. La reconnaissance d’une chance sérieuse et la juste mesure de la réparation
La décision de la Cour administrative d’appel de Douai réforme le jugement de première instance en reconnaissant un lien de causalité direct.
A. La preuve d’une chance sérieuse de remporter le contrat
La société évincée démontre qu’elle n’était pas dépourvue de toute chance de succès puisque son offre était classée immédiatement après celle de l’attributaire. Le juge souligne que l’offre en cause « a été classée en seconde position sur les deux qui étaient en lice, et qu’elle a été regardée comme satisfaisante ». Rien n’indique que le pouvoir adjudicateur aurait déclaré la procédure infructueuse si l’offre de l’attributaire avait été écartée dès l’analyse initiale des dossiers. L’irrégularité constatée ne permettait pas de régularisation ultérieure sans bouleverser l’économie générale du contrat ou la comparaison objective des mérites respectifs des offres. L’évincé disposait donc d’une chance sérieuse de remporter le marché, lui permettant de solliciter l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner qu’il a subi.
B. L’évaluation souveraine du préjudice par l’intégration des aléas économiques
Si le principe de l’indemnisation totale est acquis, le montant de la réparation fait l’objet d’une appréciation prudente tenant compte de la réalité économique. Le préjudice correspondant au manque à gagner inclut nécessairement les frais de présentation de l’offre qui ont été intégrés dans les charges prévisionnelles. La Cour tempère les prétentions financières de la société en relevant « le contexte de la crise sanitaire et de l’augmentation du prix du gaz ». Ces paramètres extérieurs ainsi que les résultats réels observés durant les premières années d’exploitation justifient une réduction substantielle du montant de l’indemnité accordée. La condamnation est ainsi portée à la somme de quatre-vingt-dix mille euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation annuelle de plein droit.