La Cour administrative d’appel de Douai a rendu, le 31 juillet 2025, un arrêt important concernant les pouvoirs du juge de l’exécution en matière contractuelle. Une société de construction sollicitait l’exécution d’une précédente décision condamnant une commune au versement du solde d’un marché public pour un groupe scolaire. Le litige portait sur la détermination du taux des intérêts moratoires et sur les modalités d’imputation des paiements effectués par la personne publique. La requérante a saisi le juge sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative pour obtenir le versement d’un reliquat. L’administration opposait une fin de non-recevoir tirée de l’impossibilité de modifier la chose jugée par le biais d’une procédure d’exécution. Le juge de l’exécution peut-il préciser les modalités de calcul des intérêts moratoires sans méconnaître l’autorité s’attachant aux motifs de la décision initiale ? La juridiction d’appel écarte la fin de non-recevoir en jugeant que la demande tend seulement à lever une ambiguïté sur la condamnation prononcée. Elle décide que les dispositions impératives d’un décret de 2013 priment sur des clauses contractuelles contraires désormais réputées non écrites. L’étude des pouvoirs de précision du juge précédera l’analyse du régime de protection des créanciers dans les contrats de la commande publique.
I. L’office du juge de l’exécution dans la clarification des décisions juridictionnelles
A. La distinction entre la levée d’une ambiguïté et la rectification d’une erreur
L’article L. 911-4 du code de justice administrative permet au juge d’assurer l’exécution d’une décision juridictionnelle devenue définitive mais restée partiellement inappliquée. La Cour administrative d’appel de Douai rappelle qu’il lui appartient de définir les mesures nécessaires en tenant compte des circonstances de droit existantes. Le juge peut, « dans l’hypothèse où elles seraient entachées d’une obscurité ou d’une ambiguïté, en préciser la portée » sans toutefois modifier le dispositif. Cette prérogative demeure strictement encadrée pour éviter que le juge de l’exécution ne se transforme en un juge d’appel de sa propre décision. La rectification des erreurs de droit relève exclusivement des voies de recours ordinaires exercées dans les délais fixés par les dispositions législatives applicables.
B. L’admission de la requête en exécution pour préciser le taux applicable
La commune soutenait que la demande tendait à rectifier une erreur de droit commise lors du prononcé de l’arrêt portant sur la condamnation. La juridiction d’appel écarte cette argumentation en soulignant que la requête vise uniquement à « lever une ambiguïté relative à la condamnation prononcée » au principal. L’absence de mention explicite du mode de calcul du taux d’intérêt dans la décision originale justifie pleinement cette démarche de clarification technique. L’intervention du juge permet ainsi d’assurer l’effectivité de la chose jugée sans pour autant remettre en cause l’autorité qui s’attache à la décision. Cette solution pragmatique favorise le règlement définitif du litige pécuniaire tout en préservant la stabilité des situations juridiques définitivement tranchées par le juge.
II. L’application impérative du régime des intérêts moratoires de la commande publique
A. La primauté du décret du 29 mars 2013 sur les stipulations contractuelles
Le décret du 29 mars 2013 relatif aux retards de paiement s’applique aux contrats conclus à compter du 16 mars de la même année. Le marché public ayant été signé le 18 mars 2013, il entrait impérativement dans le champ d’application de ces dispositions d’ordre public. La Cour juge que les stipulations contractuelles contraires sont « réputées non écrites » dès lors qu’elles prévoient un taux inférieur aux prescriptions réglementaires minimales. Elle substitue donc le taux de la Banque centrale européenne majoré de huit points de pourcentage aux clauses initiales choisies par les parties. Cette primauté de la norme impérative garantit une protection uniforme des opérateurs économiques contre les délais de paiement excessifs pratiqués par l’administration.
B. Les modalités spécifiques d’imputation des paiements sur la créance principale
Le règlement partiel d’une dette contractuelle soulève la question de l’ordre d’imputation des sommes versées entre le capital principal et les intérêts échus. La Cour administrative d’appel de Douai décide que les mandatements déjà effectués doivent être « prioritairement imputés au règlement de la somme due à titre principal ». Cette règle dérogatoire au droit civil classique s’explique par la nature contractuelle de la créance et par les règles de la comptabilité publique. Elle enjoint ainsi à la commune de procéder au calcul définitif des sommes dues dans un délai de deux mois suivant la notification. Cette décision assure une exécution complète et cohérente de la condamnation pécuniaire tout en précisant les modalités comptables nécessaires à sa liquidation finale.