Cour d’appel administrative de Lyon, le 16 janvier 2025, n°24LY01164

La Cour administrative d’appel de Lyon, par une décision du 16 janvier 2025, se prononce sur l’indemnisation d’un candidat illégalement évincé d’un contrat de délégation de service public. Une commune avait engagé une procédure de passation pour la gestion de ses remontées mécaniques avant de conclure la convention avec un opérateur dont l’offre était incomplète. Le candidat non retenu, ancien exploitant du service, a alors saisi le juge administratif pour obtenir la réparation intégrale du manque à gagner résultant de son éviction. Le tribunal administratif de Grenoble avait initialement limité la condamnation au remboursement des seuls frais de présentation de l’offre, excluant ainsi l’indemnisation des bénéfices escomptés par la société. Après une première annulation par le Conseil d’État, l’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel pour un nouvel examen du lien entre la faute et le préjudice. La société requérante soutient que l’offre retenue était irrégulière et qu’elle disposait d’une chance sérieuse de remporter le contrat au regard de la qualité de ses propositions. Elle réclame le versement de son manque à gagner calculé sur l’intégralité de la durée contractuelle de douze ans initialement prévue par les documents de la consultation. La juridiction doit déterminer si la résiliation ultérieure du contrat pour un motif d’intérêt général limite l’étendue du droit à réparation dont peut se prévaloir le concurrent. La cour d’appel juge que l’irrégularité de l’offre lauréate est établie mais réduit drastiquement l’indemnisation en raison de la précarité du lien contractuel irrégulièrement formé. L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord la caractérisation de l’éviction fautive avant d’envisager les conséquences de la résiliation inévitable sur l’évaluation souveraine du préjudice.

I. La caractérisation d’une éviction fautive

A. Le non-respect impératif des exigences du règlement de la consultation

La régularité de la procédure de passation dépend du respect strict des documents de consultation par l’ensemble des candidats admis à présenter une offre de service. La cour rappelle que « l’autorité délégante ne peut (…) attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement ». Cette obligation ne souffre d’exception que si l’exigence méconnue est dépourvue d’utilité pour l’examen des offres ou résulte d’une erreur matérielle évidente pour les parties.

En l’espèce, l’offre de l’attributaire ne comprenait pas l’échéancier prévisionnel des travaux d’investissement pourtant requis par les dispositions expresses du cahier des charges de la commune. La production d’un tel document permettait d’éclairer le pouvoir adjudicateur sur la nature réelle de l’offre proposée ainsi que sur les coûts correspondants aux investissements futurs. L’absence de cet élément essentiel entache la validité du choix final de la commune et constitue une faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis des tiers.

B. La reconnaissance d’une chance sérieuse de succès

L’indemnisation du manque à gagner suppose que le candidat évincé démontre qu’il n’était pas dépourvu de toute chance de remporter la délégation de service public litigieuse. La cour d’appel relève que l’offre de la société requérante avait été classée en deuxième position par la commission de délégation de service public après les négociations. La société disposait de la qualité d’ancien exploitant du service et la précision de ses propositions techniques avait été expressément soulignée lors de l’examen des offres.

Une fois l’offre de l’attributaire écartée pour irrégularité, le candidat évincé « disposait d’une chance sérieuse d’obtenir la délégation » compte tenu de son expérience et de son classement. Cette situation juridique permet en principe au requérant de prétendre à la réparation intégrale du bénéfice net qu’il aurait pu retirer de l’exécution normale du contrat. L’existence d’une telle chance sérieuse justifie le passage d’une indemnisation limitée aux frais de candidature vers une réparation plus large incluant les bénéfices potentiels perdus.

II. L’incidence de la résiliation inévitable sur l’indemnisation

A. La portée du motif d’intérêt général justifiant la rupture

Le juge administratif doit tenir compte de la durée réelle durant laquelle le contrat aurait pu être exécuté s’il avait été initialement conclu avec le candidat évincé. La cour observe que le préfet avait invité la commune à mettre fin à la convention en raison d’un vice grave tenant à sa durée excessivement longue. En effet, « la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi (…) constitue un motif d’intérêt général » autorisant la résiliation.

La durée de douze ans prévue au contrat apparaissait manifestement disproportionnée par rapport à la charge limitée des investissements de renouvellement incombant au futur délégataire du service public. Ce motif de résiliation unilatérale pour cause d’illégalité aurait été appliqué par la commune quel que soit le candidat finalement retenu au terme de la procédure. La décision de rompre le lien contractuel quelques mois seulement après sa signature s’impose ainsi comme une donnée objective pour l’évaluation de la période indemnisable.

B. L’évaluation proportionnée du manque à gagner

Le préjudice en lien avec l’éviction irrégulière se limite strictement à la période d’exécution que le contrat aurait connue avant que la résiliation ne soit nécessairement prononcée. La cour estime que le contrat n’aurait pu être exécuté que pendant une durée maximale de trois mois et demi avant l’intervention de la décision de rupture. Le calcul du manque à gagner doit donc s’effectuer au prorata de cette brève période au lieu de s’étendre sur la totalité des années initialement prévues.

Le juge retient le compte d’exploitation prévisionnel le plus prudent pour établir la base de calcul du bénéfice théorique que la société aurait réalisé durant ce délai. « Le préjudice de la société (…) tenant au manque à gagner s’élève ainsi, prorata temporis, à 12 003,37 euros » après application de cette limitation temporelle stricte. Cette somme s’avère supérieure aux frais engagés pour la présentation de l’offre, lesquels ne peuvent plus faire l’objet d’une indemnisation spécifique séparée du bénéfice.

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Hassan KOHEN
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