La cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt rendu le 19 décembre 2024, précise les conditions d’imposition des revenus distribués au sein d’une structure familiale. Une société exploitant un débit de boissons a fait l’objet d’une vérification de comptabilité révélant des omissions significatives de recettes en espèces. L’administration a imposé ces sommes entre les mains du père des associés, désigné par le gérant comme bénéficiaire des distributions. Le tribunal administratif de Grenoble ayant rejeté sa demande de décharge le 21 septembre 2023, l’intéressé a formé un appel devant la juridiction supérieure. Le requérant soutient qu’il n’a jamais appréhendé les fonds et conteste fermement l’application d’une pénalité pour manquement délibéré. La question posée au juge consiste à déterminer si la désignation par la société suffit à établir l’appréhension des revenus par un tiers dépourvu de mandat social. La juridiction rejette la requête en considérant que le contribuable ne rapporte pas la preuve de l’absence de perception des sommes litigieuses. L’analyse portera sur la présomption d’appréhension résultant de la désignation par la société, avant d’examiner la caractérisation du manquement délibéré justifiant la majoration.
I. La présomption d’appréhension résultant de la désignation par la société
Le juge administratif valide le mécanisme de l’article 117 du code général des impôts en transférant la charge de la preuve au bénéficiaire désigné. Cette solution repose sur l’absence de contestation initiale de la désignation par le contribuable lors de la phase de réponse à la proposition de rectification.
A. Le transfert de la charge de la preuve au bénéficiaire désigné
La cour rappelle que l’administration fiscale peut inviter une personne morale à fournir des indications sur les bénéficiaires d’un excédent de distribution. En l’espèce, le gérant de la société « a désigné son père comme étant le bénéficiaire des revenus distribués » suite à la vérification de comptabilité. Le requérant n’a pas contesté cette qualité de bénéficiaire dans sa réponse du 30 octobre 2020 adressée à l’administration fiscale.
Cette absence de contestation immédiate place le contribuable dans une situation procédurale délicate conformément aux dispositions de l’article R. 194-1 du livre des procédures fiscales. Il en résulte que « la charge de la preuve de l’absence d’appréhension des revenus distribués lui incombe » désormais devant le juge de l’impôt. Le silence initial du contribuable scelle ainsi le cadre probatoire de l’instance, rendant nécessaire la démonstration matérielle du caractère exagéré de l’imposition.
B. L’inefficacité des arguments relatifs à l’absence de maîtrise de l’affaire
Pour contester l’imposition, le requérant souligne qu’il n’était ni salarié, ni gérant, et qu’il ne disposait d’aucune procuration sur les comptes bancaires. Il affirme également que sa signature n’apparaît sur aucun document juridique ou commercial de la société dont il n’est pas associé. La cour juge toutefois que ces éléments purement formels sont insuffisants pour renverser la présomption d’appréhension née de la désignation sociale.
Les magistrats s’appuient sur la réalité matérielle de l’exploitation familiale où le contribuable était « physiquement présent dans l’établissement » de manière régulière. L’administration relève que les fonctions des deux associés officiels se limitaient exclusivement au service en salle, laissant présumer une gestion de fait du père. Le juge considère alors que le contribuable « doit être regardé comme ayant appréhendé les revenus distribués » malgré l’absence de traces bancaires directes.
II. La caractérisation du manquement délibéré justifiant la majoration
L’arrêt confirme l’application de la majoration de 40 % prévue par l’article 1729 du code général des impôts pour manquement délibéré. La juridiction administrative estime que l’administration fiscale apporte la preuve nécessaire de l’intention du contribuable d’éluder l’impôt sur le revenu.
A. La preuve de l’intention d’éluder l’impôt par la répétition des omissions
L’administration fiscale doit démontrer l’élément intentionnel pour appliquer des pénalités proportionnelles aux redressements opérés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Pour fonder sa décision, le service s’est appuyé sur « le caractère répété des omissions de déclaration de revenus » sur plusieurs exercices successifs. Cette persistance dans le défaut de déclaration constitue un indice sérieux de la volonté du contribuable de se soustraire à ses obligations.
Le juge relève également l’importance des sommes en cause par rapport à l’ensemble des revenus déclarés par l’intéressé au titre des années concernées. Les revenus occultes représentaient en effet « 78 % et 67 % de l’ensemble des revenus perçus » par le requérant au cours de la période. Cette disproportion massive entre les revenus réels et les revenus déclarés suffit à établir l’intention délibérée d’éluder les impositions dues.
B. Une solution confirmant la rigueur du contrôle des entreprises familiales
La cour administrative d’appel de Lyon rejette l’argumentation fondée sur l’absence de signature de chèques ou de documents commerciaux pour écarter la responsabilité fiscale. Cette position renforce l’efficacité de la procédure de désignation des bénéficiaires prévue par l’article 117 du code général des impôts. Elle démontre que la solidarité familiale au sein d’une exploitation commerciale peut entraîner des conséquences fiscales lourdes pour les membres du cercle familial.
L’arrêt souligne que la qualité de maître de l’affaire n’est pas le seul fondement possible pour imposer des revenus distribués entre des mains tierces. La seule désignation par la société, couplée à une présence physique active, crée une situation que le contribuable peine à combattre sans preuves financières. La décision confirme ainsi la primauté de la réalité des faits sur l’apparence juridique dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale.