Par un arrêt rendu le 23 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Lyon précise les conditions de mise en œuvre de l’autorité de la chose jugée. Le litige trouve son origine dans une vérification de comptabilité ayant conduit à l’imposition de revenus issus d’une activité qualifiée de détournement de fonds. Un premier cycle contentieux s’est achevé par une décision du Conseil d’État le 19 décembre 2018 confirmant les redressements notifiés par l’administration fiscale. Le contribuable a ultérieurement bénéficié d’un arrêt de la cour d’appel de Riom le 4 juillet 2019 le relaxant partiellement des poursuites pénales engagées. Fort de cet élément nouveau, il a déposé une nouvelle réclamation préalable avant de saisir le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’une demande de réduction. Par une ordonnance du 28 mars 2024, la présidente de cette juridiction a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable en invoquant la chose jugée. Le requérant soutient que l’existence d’une cause juridique distincte et d’un élément nouveau fait obstacle à l’application de cette exception d’ordre public. La juridiction d’appel doit déterminer si l’autorité de chose jugée constitue un motif d’irrecevabilité manifeste permettant un rejet par voie d’ordonnance non contradictoire. Elle examine également si un arrêt pénal définitif peut modifier la cause juridique d’un litige fiscal déjà tranché par le juge de l’impôt. La cour annule l’ordonnance pour irrégularité procédurale mais rejette finalement la demande au fond en confirmant l’identité de cause entre les deux instances.
I. La sanction de l’irrégularité procédurale de l’ordonnance de première instance
A. L’erreur sur la nature juridique de l’exception de chose jugée
La juridiction d’appel affirme que « l’exception de chose jugée ne relève pas de la recevabilité de la requête mais de son bien-fondé ». Cette précision doctrinale interdit au premier juge de rejeter une demande sur ce seul fondement au stade de l’examen de sa recevabilité. L’autorité de chose jugée affecte le fond du droit car elle s’oppose à ce que la juridiction statue à nouveau sur un litige déjà tranché. Elle constitue un moyen de défense au fond et non une condition préalable à l’introduction de l’instance devant le juge administratif. Par cette position, la cour censure l’usage abusif de la procédure d’ordonnance pour évincer des requérants sans engager une instruction contradictoire sur les mérites.
B. L’étroitesse du champ d’application du rejet pour irrecevabilité manifeste
L’ordonnance attaquée reposait sur l’article R. 222-1 du code de justice administrative permettant d’écarter les requêtes qui sont manifestement entachées d’un vice de forme. La cour administrative d’appel de Lyon souligne que « la présidente du tribunal administratif ne pouvait pas se fonder sur l’exception de chose jugée » ainsi. Ce mécanisme de rejet simplifié doit rester limité aux irrecevabilités procédurales insurmontables comme le défaut de signature ou le non-respect des délais de recours. Une décision sur l’autorité de chose jugée impose nécessairement une analyse de l’identité d’objet et de cause qui dépasse le simple constat d’irrecevabilité. L’annulation de l’acte juridictionnel initial permet alors à la cour d’évoquer l’affaire afin de se prononcer elle-même sur le fond du différend fiscal.
II. La permanence souveraine de l’autorité de la chose jugée fiscale
A. La réunion des critères classiques de la triple identité juridique
La cour rappelle que l’autorité de la chose jugée en plein contentieux demeure strictement « subordonnée à la triple identité de parties, d’objet et de cause ». En l’espèce, les impositions litigieuses portent sur les mêmes exercices et concernent le même contribuable que lors de la précédente instance juridictionnelle définitive. Les demandes visent à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux déjà confirmées par le juge. L’objet du litige est donc rigoureusement identique à celui qui a été tranché par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en 2017. La cour constate que l’identité de cause est également préservée malgré les arguments nouveaux présentés par les requérants pour justifier leur démarche.
B. L’inefficacité de l’autorité du criminel sur le civil en matière de cause fiscale
La contestation relative au bien-fondé des impositions « se rattache à la même cause juridique que celle soulevée dans l’instance précédente » selon la cour. L’intervention de l’arrêt de la cour d’appel de Riom relaxant le contribuable pour certains faits d’abus de confiance ne modifie pas cette conclusion. Cette décision pénale ultérieure n’est pas de nature à remettre en cause l’autorité attachée aux motifs de l’arrêt administratif devenu définitivement exécutoire. Le juge de l’impôt n’est pas lié par les constatations de la juridiction répressive lorsque celle-ci statue postérieurement à la clôture du litige fiscal initial. L’indépendance des procédures et la sécurité juridique justifient ainsi le maintien de la solution adoptée précédemment par la cour et le Conseil d’État.