Cour d’appel administrative de Nancy, le 20 mars 2025, n°24NC01611

La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 20 mars 2025, une décision essentielle concernant le droit au séjour des étrangers malades. Un ressortissant pakistanais, entré en France en 2018, souffrait de troubles bipolaires et d’un trouble de la personnalité nécessitant des soins psychiatriques intensifs. Le préfet du Bas-Rhin avait refusé le renouvellement de son titre de séjour le 21 septembre 2023, malgré ses antécédents médicaux particulièrement lourds. Le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa contestation par un jugement du 16 mai 2024, validant ainsi la décision d’éloignement préfectorale initiale. Le litige repose sur l’aptitude de l’intéressé à bénéficier d’un traitement approprié au Pakistan, question sur laquelle les avis médicaux divergent radicalement. La juridiction d’appel doit déterminer si des certificats privés peuvent infirmer l’expertise officielle du collège de médecins de l’administration. La solution retenue privilégie une analyse concrète des risques vitaux, entraînant l’annulation de l’arrêté contesté et l’injonction de délivrer le titre sollicité.

I. La consécration d’une présomption probatoire réfragable

A. La portée juridique de l’avis du collège de médecins

L’autorité administrative s’appuie sur l’avis rendu par le service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration pour statuer. Ce document technique constitue le socle de la décision préfectorale, laquelle doit être « spécialement motivée » en cas de divergence avec ces conclusions. Le juge administratif considère que cet avis crée une présomption relative quant à l’état de santé réel du demandeur au séjour. Cette règle de preuve impose au requérant de produire des éléments de fait suffisamment précis pour ébranler la conviction initiale des magistrats. L’avis médical demeure un élément central mais il ne saurait lier le juge dans son appréciation souveraine des pièces versées au dossier.

B. La force probante supérieure des certificats médicaux spécialisés

L’intéressé produit des attestations émanant de son psychiatre référent soulignant l’impérieuse nécessité d’une prise en charge médicale constante et adaptée. Ces documents décrivent un traitement médicamenteux lourd dont l’interruption fortuite pourrait « mettre l’intéressé en danger de mort » ou provoquer des décompensations majeures. La Cour souligne que quarante-six admissions aux urgences psychiatriques démontrent la fragilité extrême de la situation clinique actuelle du requérant pakistanais. Ces éléments circonstanciés permettent de renverser la présomption de santé attachée à l’avis initialement favorable à l’éloignement vers le pays d’origine. La précision des diagnostics médicaux l’emporte ainsi sur la position générale adoptée par les médecins de l’office spécialisé de l’immigration.

II. Une protection juridictionnelle face aux carences du système de soins

A. L’appréciation concrète de l’offre thérapeutique dans le pays d’origine

L’examen du système de santé pakistanais révèle des lacunes structurelles majeures pour le traitement des pathologies mentales lourdes comme la bipolarité. Un rapport international indique qu’il n’existe qu’un seul psychiatre pour quatre cent mille habitants dans cette zone géographique du globe. L’éloignement géographique des structures de soins, situées à plus de cent kilomètres du village d’origine, rend l’accès au traitement purement illusoire. La Cour valide l’argumentation du requérant en reconnaissant l’impossibilité de bénéficier effectivement d’un suivi médical approprié sur le territoire national pakistanais. L’existence théorique de médicaments ne suffit pas à garantir la continuité des soins indispensable à la survie du patient étranger.

B. La prévention des risques vitaux inhérents à l’interruption du traitement

Le défaut de prise en charge entraînerait des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » pour l’étranger, notamment un risque élevé de passage à l’acte suicidaire. Le juge administratif protège le droit à la vie en s’assurant que l’exécution de l’éloignement ne provoque pas une dégradation sanitaire irréversible. L’injonction de délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale » sanctionne l’erreur d’appréciation commise par la préfecture du Bas-Rhin. Cette décision réaffirme la primauté des impératifs de santé publique sur les logiques purement administratives de la gestion des flux migratoires. Le juge remplit ici son rôle de gardien des libertés fondamentales face à des décisions préfectorales parfois trop éloignées des réalités humaines.

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Hassan KOHEN
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