La Cour administrative d’appel de Nancy, par un arrêt rendu le 27 mai 2025, précise les conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés par des rassemblements. Entre novembre 2018 et mai 2019, des manifestants ont investi des gares de péage sur plusieurs portions d’autoroutes afin de contester la politique gouvernementale. Ces individus ont procédé à des blocages de la circulation ainsi qu’à la levée des barrières de péage pour permettre le passage gratuit des usagers. La société concessionnaire a sollicité l’indemnisation de ses préjudices matériels et de ses pertes de recettes devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Les premiers juges ont rejeté cette demande par un jugement en date du 25 mai 2021. La requérante a alors interjeté appel afin d’obtenir la condamnation de l’Etat sur le fondement de la responsabilité sans faute. Le litige porte sur la qualification de délit commis par un attroupement et sur le caractère direct du préjudice économique résultant de la gratuité imposée. La juridiction d’appel annule partiellement le jugement attaqué mais limite toutefois l’indemnisation aux seules dégradations matérielles dûment prouvées par la requérante.
**I. La caractérisation restrictive des faits générateurs de responsabilité**
L’engagement de la responsabilité étatique suppose l’existence d’un attroupement ayant commis des infractions précises par violence ou à force ouverte. La Cour distingue les actions collectives de revendication des opérations menées par des groupes isolés.
**A. La reconnaissance encadrée de l’attroupement et du rassemblement**
Les juges d’appel vérifient si les groupes de manifestants présentent une importance numérique suffisante pour constituer un attroupement au sens du code de la sécurité intérieure. Ils relèvent que « vingt-sept de ces actions sont le fait d’un nombre significatif de personnes susceptible d’être qualifié d’attroupement ». En revanche, les interventions impliquant seulement deux ou cinq individus sont exclues du régime de responsabilité sans faute de la puissance publique. Le caractère organisé du mouvement ne fait pas obstacle à cette qualification car les actions s’inscrivent dans un contexte de revendications sociales. L’objectif principal n’était pas de commettre des délits mais de soutenir une protestation nationale largement diffusée sur les réseaux sociaux. Cette approche permet de maintenir la protection des victimes collatérales face à des mouvements populaires d’ampleur exceptionnelle.
**B. La distinction opérée entre l’entrave à la circulation et le libre passage**
La Cour analyse si les agissements des manifestants constituent des délits pénaux caractérisés permettant d’engager la responsabilité de l’Etat. Le délit d’entrave à la circulation prévu par le code de la route est retenu uniquement lorsque des blocages physiques ont effectivement empêché le passage. Pour les autres événements, la juridiction estime que « la circulation n’en a pas été entravée ou gênée » par la simple levée des barrières. Les usagers pouvaient circuler sans subir de ralentissement supplémentaire par rapport aux conditions normales de franchissement d’un péage. Les manifestants ont simplement profité de cet arrêt obligatoire pour exposer leurs doléances sans commettre d’acte de violence caractérisé. Cette interprétation stricte de l’infraction pénale limite le champ d’application de la garantie étatique pour les concessionnaires autoroutiers.
**II. L’appréciation rigoureuse du lien de causalité et des préjudices indemnisables**
L’indemnisation octroyée par le juge administratif demeure subordonnée à la preuve d’un lien direct entre le délit commis et le dommage subi. Cette exigence conduit au rejet des prétentions économiques fondées sur la perte de redevances.
**A. L’exclusion des pertes de recettes comme préjudice direct**
La société requérante réclamait la compensation des sommes non perçues en raison de la gratuité imposée par les membres du rassemblement. La Cour rejette cette demande au motif que ce préjudice « n’est pas directement lié au délit d’entrave à la circulation retenu par le présent arrêt ». L’impossibilité de percevoir les péages résulte de la levée des barrières de sécurité par les manifestants présents sur les lieux. Or, cet acte spécifique ne constitue pas en lui-même un délit commis à force ouverte ou par violence. Le lien de causalité entre l’infraction pénale reconnue par les juges et la perte financière invoquée fait défaut dans cette espèce. Le juge administratif refuse d’étendre la responsabilité de l’Etat aux conséquences économiques d’un comportement non réprimé pénalement.
**B. La limitation de l’indemnisation aux dommages matériels caractérisés**
Seuls les frais de remplacement du matériel de vidéosurveillance dégradé font l’objet d’une réparation effective de la part de l’administration. La Cour constate que le délit de destruction d’un bien appartenant à autrui est établi pour deux dates précises au péage concerné. Elle écarte toutefois les demandes relatives à la maintenance courante ou au redressement d’un grillage qu’elle qualifie de « dommages légers ». Ces interventions ne sauraient constituer un délit au sens du code pénal justifiant la mise en œuvre de la solidarité nationale. Les frais internes liés à la mobilisation du personnel sont également rejetés car ils n’excèdent pas l’activité normale de la société concessionnaire. L’indemnité finale est donc réduite aux seuls débours matériels et aux frais d’huissier jugés indispensables pour établir la réalité des faits.