Cour d’appel administrative de Nancy, le 28 janvier 2025, n°22NC01378

La Cour administrative d’appel de Nancy, par un arrêt du 28 janvier 2025, précise le régime de responsabilité pesant sur un service départemental d’incendie et de secours. Un sapeur-pompier professionnel contestait le rejet de sa demande indemnitaire liée à l’exécution d’astreintes non rémunérées au-delà des plafonds légaux. L’agent, bénéficiant d’un logement de fonction, effectuait annuellement vingt et une astreintes à domicile assorties d’un délai de réponse de cinq minutes seulement. Le président de l’établissement public a rejeté sa réclamation préalable tendant au paiement d’heures supplémentaires et à l’indemnisation de divers préjudices. Le tribunal administratif de Strasbourg a écarté sa demande par un jugement du 17 mars 2022, dont le requérant a interjeté appel. Le litige porte sur la qualification de ces astreintes au regard du droit européen et sur la nature de la réparation due en cas de dépassement horaire. La juridiction d’appel juge que ces périodes constituent du temps de travail effectif mais refuse d’accorder le paiement d’indemnités pour travaux supplémentaires. Elle privilégie une indemnisation forfaitaire au titre des troubles dans les conditions d’existence résultant de la méconnaissance des règles de santé et de sécurité. L’examen de l’organisation du service et de la qualification du travail précède l’étude du régime indemnitaire attaché au dépassement des plafonds.

**I. L’encadrement de l’organisation et de la durée du travail effectif**

**A. La primauté du comité technique sur l’organisation des services**

La procédure d’adoption d’une décision relative au temps de travail nécessite d’identifier l’organe consultatif compétent entre le comité technique et le comité d’hygiène. La juridiction administrative rappelle que le comité technique doit être obligatoirement consulté pour les questions concernant l’organisation et le fonctionnement général des services publics. Le comité d’hygiène et de sécurité ne dispose d’une compétence exclusive que pour les projets touchant uniquement la santé des agents publics. La Cour administrative d’appel de Nancy souligne que « le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne doit ainsi être saisi que d’une question ou projet de disposition concernant exclusivement la santé ». Dès lors qu’une mesure concerne à la fois l’organisation du service et les conditions de travail, seule la consultation du comité technique s’impose légalement. Cette solution garantit la cohérence de la gestion administrative tout en préservant le rôle consultatif des instances représentatives du personnel. L’analyse de la régularité procédurale permet désormais d’aborder la qualification juridique des astreintes effectuées par les agents logés en caserne.

**B. La qualification d’astreinte logement comme temps de travail effectif**

Le juge administratif s’appuie sur le droit de l’Union européenne pour définir la notion de temps de travail effectif appliquée aux sapeurs-pompiers. Une période de garde à domicile constitue du temps de travail si les contraintes imposées empêchent la gestion libre des occupations personnelles. La Cour relève que les astreintes s’effectuent « avec départ immédiat après l’alerte et que les personnels d’astreinte ont un délai de réponse de cinq minutes ». Cette contrainte temporelle majeure assimile ces périodes à du travail effectif pour l’appréciation du respect des seuils fixés par la directive européenne. La juridiction confirme que le nombre maximal d’heures de travail ne peut excéder mille cent vingt-huit heures par semestre ou deux mille deux cent cinquante-six heures annuelles. Le dépassement de ce seuil par l’ajout des astreintes aux gardes classiques caractérise une méconnaissance des prescriptions minimales de sécurité et de santé. La reconnaissance d’un temps de travail effectif impose d’analyser les conséquences indemnitaires liées à la violation des limites horaires maximales.

**II. Le régime indemnitaire attaché au dépassement des plafonds horaires**

**A. L’exclusion d’une rémunération automatique au titre des heures supplémentaires**

L’assimilation des astreintes à du temps de travail au sens européen n’emporte pas automatiquement un droit au paiement d’indemnités pour travaux supplémentaires. Le juge administratif distingue les règles de sécurité, régies par le droit de l’Union, des règles de rémunération relevant du droit national. La directive européenne n’a pas vocation à s’appliquer aux questions salariales mais vise la protection de la santé physique et mentale des travailleurs. La Cour affirme que le dépassement des limites horaires ne saurait ouvrir droit « à l’indemnisation d’un préjudice patrimonial compensant l’absence de rémunération des heures effectuées ». Le paiement d’heures supplémentaires reste subordonné au respect des conditions fixées par les décrets nationaux relatifs aux indemnités pour travaux supplémentaires. Cette distinction rigoureuse empêche la transformation systématique des heures de garde en heures rémunérées sans base réglementaire interne spécifique. L’absence d’indemnisation salariale conduit alors la juridiction à se prononcer sur la réparation des préjudices liés aux conditions d’existence des agents.

**B. La réparation des préjudices liés aux conditions d’existence et à la santé**

La violation des plafonds horaires annuels constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique pour les dommages subis. Le préjudice indemnisable découle directement de l’atteinte à la santé et de la fatigue accumulée en raison d’un temps de repos insuffisant. La juridiction évalue le montant de la réparation en fonction de la réalité, de la répétition et de l’amplitude des dépassements horaires constatés. Pour un excédent de quatre-vingt-seize heures de travail effectif, la Cour condamne l’établissement public à verser une somme forfaitaire de mille euros. Ce montant compense « les troubles subis par l’intéressé dans ses conditions d’existence du fait de ces dépassements, et notamment de l’atteinte portée à sa santé ». Cette solution indemnitaire protège l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée tout en sanctionnant le non-respect des durées maximales de travail.

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Hassan KOHEN
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