Cour d’appel administrative de Nancy, le 5 juin 2025, n°23NC00114

La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 5 juin 2025, un arrêt relatif à la régularité d’une mise en demeure de l’inspection du travail. Un contrôle effectué le 5 décembre 2018 avait révélé l’étroitesse du module aval des caisses d’un magasin, dépourvu de plan incliné ou de butée. L’inspecteur avait exigé le remplacement de ces équipements pour prévenir les troubles musculo-squelettiques des salariés affectés aux postes d’encaissement de l’établissement. L’administration a rejeté les recours préalable et hiérarchique formés par la société commerciale contre cette injonction technique fondée sur le code du travail. Le tribunal administratif de Nancy a toutefois annulé ces décisions le 17 novembre 2022, provoquant l’appel immédiat du ministre chargé du travail. Le requérant soutient que l’organisation du travail ne pallie pas l’absence de meubles adaptés aux manutentions manuelles de produits de plus de trois kilogrammes. La juridiction doit déterminer si l’aménagement technique des postes d’encaissement méconnaît les obligations de sécurité de l’employeur malgré l’absence de preuves ergonomiques précises. Elle rejette l’appel en estimant que l’inadaptation du mobilier n’est pas démontrée par le seul constat de son faible dimensionnement spatial. L’analyse de la configuration des postes de travail précède l’examen de la légalité de l’injonction administrative au regard des risques professionnels réels.

I. La caractérisation défaillante de l’inadaptation des équipements de travail

A. Le constat insuffisant d’une contrainte spatiale

La juridiction administrative examine d’abord les caractéristiques physiques des meubles d’encaissement dont le « module aval parfaitement rectiligne » était critiqué par l’administration. Elle relève que le caractère court de cet équipement constitue une « limite spatiale à l’amplitude des mouvements » effectuée par les opérateurs. Cette observation contredit l’analyse de l’inspection du travail qui voyait dans cette configuration une aggravation certaine des risques de troubles musculo-squelettiques. Les juges considèrent que la faible distance à franchir pour faire glisser les produits limite en réalité les efforts physiques requis lors du passage. L’administration n’établit pas que les mouvements induits par cette conception spécifique excéderaient les zones de manipulations habituelles ou la zone fonctionnelle des épaules. La Cour administrative d’appel de Nancy refuse ainsi de déduire l’existence d’un danger du seul constat visuel d’un équipement jugé trop exigu.

B. L’exigence de preuves relatives aux sollicitations biomécaniques

L’arrêt souligne l’absence de démonstration probante concernant l’augmentation des sollicitations physiques imposées aux salariés par l’usage de ces meubles d’encaissement particuliers. La décision mentionne que la norme NF X-35-701, bien que non contraignante, sert de référence utile pour apprécier les zones de manipulation acceptables. Or, il n’apparaît pas que les postes de travail litigieux imposent des postures pénibles ou des positions forcées des articulations au sens légal. Le sous-dimensionnement du module peut certes entraîner une accumulation d’articles selon la rapidité des clients mais ne génère pas de manutention supplémentaire. L’opérateur de caisse se trouve simplement contraint de ralentir son rythme de travail ou d’attendre que le client libère l’espace de dépose. Cette situation ne constitue pas un équipement inadapté à la préservation de la santé des travailleurs au sens des dispositions du code du travail.

II. Le contrôle de la légalité des mesures de prévention technique

A. La distinction entre rythme de travail et risque de manutention

La Cour administrative d’appel de Nancy opère une distinction nécessaire entre les modalités d’organisation du travail et l’adéquation intrinsèque du matériel utilisé. Elle note qu’il n’est pas établi que les difficultés de glissement des marchandises imposent une charge physique accrue aux agents d’encaissement concernés. L’autorité administrative n’a pas prouvé que le manquement reproché était directement lié aux risques inhérents à la manutention de produits pesant plus de trois kilogrammes. Le juge administratif rappelle que l’employeur peut recourir à la polyvalence pour limiter l’effort physique et réduire le risque encouru lors des opérations. En l’absence de constatation d’un manquement précis sur l’organisation générale, le reproche fondé exclusivement sur la structure du meuble aval demeure inopérant. La décision confirme ainsi que la protection de la santé ne saurait justifier des injonctions matérielles sans lien direct avec un risque avéré.

B. L’encadrement des pouvoirs de contrainte de l’inspection du travail

Cet arrêt précise les limites du pouvoir de mise en demeure dont disposent les agents de contrôle pour faire respecter les prescriptions techniques générales. L’inspecteur du travail doit établir l’existence d’une infraction réelle aux décrets relatifs à l’utilisation des équipements de travail avant de dresser un procès-verbal. L’application des articles R. 4321-1 et R. 4541-4 du code du travail exige une analyse concrète des dangers avant d’imposer des modifications onéreuses. La Cour administrative d’appel de Nancy valide le raisonnement du tribunal administratif de Nancy en censurant une interprétation trop extensive des obligations de sécurité. La portée de cette décision renforce la sécurité juridique des employeurs face à des demandes administratives de mise en conformité qui manqueraient de base scientifique. L’annulation des décisions ministérielles et régionales consacre la primauté de la preuve matérielle du risque sur les simples recommandations ergonomiques de l’administration.

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Hassan KOHEN
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