Cour d’appel administrative de Nantes, le 11 mars 2025, n°24NT03122

La Cour administrative d’appel de Nantes a statué, le 11 mars 2025, sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français visant un étranger. L’intéressé est un ressortissant espagnol né en France, ayant effectué toute sa scolarité dans l’Hexagone et dont les parents résident sur le territoire national. L’administration a pris un arrêté d’éloignement assorti d’une interdiction de circulation, motivé par des condamnations pénales pour dégradations et recel d’objets volés. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Nantes a annulé l’acte préfectoral en raison d’une violation du droit au respect de la vie privée. Le préfet a interjeté appel devant la juridiction supérieure, invoquant une menace grave à l’ordre public et contestant la communication de certaines pièces de procédure. Les juges d’appel devaient déterminer si l’expulsion d’un étranger né en France respecte les exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour confirme l’annulation de la décision administrative car l’atteinte aux liens familiaux et personnels est jugée excessive par rapport aux impératifs de sécurité. L’analyse portera d’abord sur l’affirmation d’un ancrage territorial prépondérant, puis elle détaillera le contrôle de la proportionnalité de l’atteinte portée au droit privé.

I. L’affirmation d’un ancrage territorial et familial prépondérant

A. Une présence continue sur le territoire depuis la naissance

Le juge administratif accorde une importance majeure à l’ancienneté de l’installation, précisant que l’intéressé « établit résider en France depuis sa naissance » sans interruption notable. Cette durée d’habitation fonde la stabilité des liens sociaux et professionnels du ressortissant, qui a d’ailleurs « suivi l’intégralité de sa scolarité » dans le système français. La Cour considère que cet ancrage historique constitue le socle de la vie privée, rendant toute mesure d’éloignement particulièrement dommageable pour l’insertion de l’individu. L’instruction démontre que le parcours de vie se déroule exclusivement sur le territoire national, ce qui limite les possibilités de réintégration dans une autre société.

B. L’inexistence démontrée d’attaches dans le pays de nationalité

La solution repose également sur l’isolement complet du ressortissant vis-à-vis de l’Espagne, malgré la nationalité dont il se prévaut officiellement pour circuler en Europe. La juridiction relève que ses deux parents résident en France, et il n’est pas contesté qu’il « ne dispose d’aucune attache familiale » dans son pays d’origine. Cette absence de relais humains à l’étranger renforce le caractère indispensable de la présence sur le sol français pour le maintien des équilibres affectifs. L’arrêt souligne ainsi que la cellule familiale est intégralement localisée en France, interdisant toute perspective de retour viable dans un État devenu juridiquement étranger.

L’examen de l’intégration familiale conduit nécessairement à interroger la légitimité de l’ingérence administrative face aux troubles causés à l’ordre public par le comportement du délinquant.

II. Un contrôle strict de la proportionnalité de l’atteinte au droit privé

A. La relativisation de la menace caractérisée à l’ordre public

Le préfet justifiait l’éloignement par une peine d’emprisonnement pour dégradation du bien d’autrui et recel, ainsi que par d’autres faits signalés par les forces de police. Toutefois, la Cour observe que ces infractions, bien que regrettables, ne suffisent pas à contrebalancer l’intensité des liens privés et familiaux tissés depuis vingt-cinq ans. Le juge refuse de faire primer la sécurité publique de manière automatique, préférant une évaluation concrète de la dangerosité réelle représentée par le ressortissant étranger. L’analyse des faits montre que la menace n’est pas d’une gravité telle qu’elle justifierait de briser définitivement le cadre de vie habituel de l’intéressé.

B. La sanction de l’erreur d’appréciation commise par l’autorité préfectorale

La décision finale censure l’acte administratif au motif que la mesure d’éloignement « porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ». La Cour administrative d’appel de Nantes applique ainsi rigoureusement les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Ce contrôle de proportionnalité protège le ressortissant né en France contre une expulsion qui aurait des conséquences humaines jugées intolérables au regard du droit positif. L’arrêt confirme que la préservation des liens familiaux l’emporte sur une volonté d’éloignement fondée sur une vision purement répressive de la police des étrangers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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