La cour administrative d’appel de Nantes, par un arrêt rendu le 14 février 2025, précise le régime contentieux applicable aux transferts entre établissements pénitentiaires de même nature. Un individu placé en détention provisoire contestait son changement d’affectation géographique décidé peu de temps avant sa comparution devant une juridiction correctionnelle. Le tribunal administratif de Nantes avait initialement annulé cette décision pour vice de procédure, ce qui a conduit l’administration à interjeter appel devant la juridiction supérieure. Le litige porte sur la recevabilité du recours contre une mesure d’ordre intérieur et sur les dérogations au principe de procédure contradictoire. La juridiction administrative admet la recevabilité de la demande mais valide la légalité de l’acte au regard des nécessités impérieuses de sécurité. L’analyse portera sur la recevabilité du recours fondée sur la préservation des droits fondamentaux (I), avant d’examiner la justification de la mesure par les impératifs de sécurité (II).
I. La recevabilité du recours fondée sur la préservation des droits fondamentaux
A. L’extension du contrôle juridictionnel aux changements d’affectation Le juge administratif rappelle que les décisions de changement d’affectation entre établissements de même nature doivent pouvoir faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette recevabilité est acquise « lorsque la nouvelle affectation s’accompagne d’une modification du régime de détention entraînant une aggravation des conditions de détention ». En l’absence d’une telle aggravation, le recours demeure possible « lorsque sont en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ». La cour confirme ainsi une jurisprudence établie visant à réduire le périmètre des mesures d’ordre intérieur insusceptibles de toute contestation juridictionnelle. Elle refuse de considérer le transfert comme un acte neutre dès lors qu’il est susceptible d’impacter l’exercice effectif de droits constitutionnels.
B. L’atteinte potentielle aux facilités nécessaires à la préparation de la défense L’arrêt souligne que le transfert a placé le prévenu dans un lieu de détention éloigné du cabinet de son conseil peu avant son audience de jugement. Aux termes de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, tout accusé doit « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ». La distance séparant les deux communes est jugée de nature à rendre plus difficile l’exercice de cette garantie fondamentale pour le prévenu. La décision de transfert quitte ainsi le champ de l’immunité pour entrer dans celui du contrôle de légalité par le juge de l’excès de pouvoir. Cette qualification permet d’assurer une protection juridictionnelle effective aux personnes placées sous main de justice durant la phase critique précédant leur jugement.
II. La justification de l’action administrative par les impératifs de sécurité
A. L’éviction de la procédure contradictoire par l’exigence d’ordre public L’administration est normalement tenue de respecter une procédure contradictoire pour les mesures individuelles prises en considération de la personne, sauf urgence ou circonstances exceptionnelles. En l’espèce, le transfert visait à « prévenir le risque d’une rencontre et d’une confrontation entre » le détenu et un agent qu’il avait précédemment agressé. La cour considère que l’information préalable de l’intéressé « pouvait susciter de sa part une initiative violente » au sein de l’établissement de détention. Dès lors, l’autorité était fondée à s’affranchir de l’obligation de recueillir des observations préalables afin de ne pas « compromettre l’ordre et la sécurité ». L’exception prévue par le code des relations entre le public et l’administration trouve ici une application justifiée par le profil du détenu.
B. La proportionnalité de la mesure au regard du droit au procès équitable Malgré l’éloignement géographique, les juges estiment que la décision ne porte pas une atteinte excessive au droit à un procès équitable ou à la vie familiale. Il est relevé que l’avocate de l’intéressé « a pu bénéficier d’un parloir à la maison d’arrêt de Brest » avant la date prévue pour la comparution. Aucun élément probant ne démontre que les communications nécessaires entre le conseil et son client auraient été matériellement empêchées par les services pénitentiaires. Le transfert est jugé nécessaire car la sérénité du service ne pouvait être garantie en présence de l’auteur d’une agression contre un membre du personnel. La cour administrative d’appel de Nantes annule par conséquent le jugement de première instance et rejette les conclusions tendant à l’annulation de la mesure.