Cour d’appel administrative de Paris, le 21 mai 2025, n°24PA00419

La Cour administrative d’appel de Paris, par une décision rendue le 21 mai 2025, apporte des précisions majeures sur la qualification fiscale des relations de travail. Une société spécialisée dans le conseil informatique disposait d’un établissement secondaire ayant recours exclusivement à des prestataires extérieurs pour ses missions de développement logiciel. L’administration fiscale a estimé que ces relations contractuelles dissimulaient en réalité un lien de subordination, entraînant ainsi d’importants rehaussements d’impositions. Le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande de décharge de ces cotisations supplémentaires par un jugement du 28 novembre 2023. La juridiction d’appel doit déterminer si l’existence d’un lien de dépendance permet la requalification fiscale de prestations de services en salaires non déductibles. Les juges confirment la régularité de la procédure et le bien-fondé de la requalification, tout en accordant une décharge partielle concernant les revenus distribués.

I. La caractérisation souveraine d’un lien de subordination entre les parties

A. Le faisceau d’indices confirmant l’existence d’une relation salariale dissimulée

La Cour valide l’analyse de l’administration qui écarte la dénomination contractuelle pour s’attacher aux conditions réelles d’exercice de l’activité des prestataires. Les magistrats relèvent que « les prestations devaient être réalisées dans les locaux de la société » et que les intervenants respectaient les règles internes. L’utilisation d’un modèle commun de bon de commande et la fourniture des moyens matériels par la société caractérisent un état de dépendance manifeste. Les juges soulignent également que les factures des intéressés « se suivaient de façon continue au bénéfice exclusif ou quasi exclusif » de la structure requérante. Cette exclusivité, combinée au respect d’objectifs fixés unilatéralement, place le prestataire dans une situation de subordination juridique identique à celle d’un salarié. Dès lors, le juge administratif confirme que « sous l’apparence d’un contrat de prestations de services informatiques, était en fait dissimulée l’existence d’un contrat de travail ». L’inscription au registre du commerce ou la liberté apparente de travailler à distance ne suffisent pas à infirmer cette réalité technique.

B. La validation de la régularité de la procédure d’imposition suivie

La société contestait la régularité de la notification de la proposition de rectification, envoyée à l’adresse de son expert-comptable plutôt qu’à son siège social. La Cour rejette ce moyen en constatant que le président de la société avait accordé une délégation de pouvoir explicite à ce cabinet professionnel. L’experte-comptable était habilitée pour « agir au nom de la société dans toute procédure impliquant cette dernière vis-à-vis de l’administration fiscale ». Le pli ayant été déposé à l’accueil du cabinet, la notification est regardée comme régulière, d’autant que la société a produit des observations. Par ailleurs, l’utilisation de renseignements obtenus auprès des prestataires tiers ne méconnaît ni le secret fiscal ni le devoir de loyauté de l’administration. Un contribuable ne peut se prévaloir d’une violation du secret professionnel opposable par des tiers pour contester ses propres rehaussements d’impositions. L’administration pouvait donc légalement utiliser ces informations pour conforter son analyse des relations contractuelles réelles au sein de l’établissement vérifié.

II. Une sanction fiscale rigoureuse tempérée par le refus de la double imposition

A. L’intransigeance quant à la déductibilité des charges et aux régimes d’exonération

La requalification en salaires entraîne des conséquences sévères sur le bénéfice imposable en raison du défaut d’immatriculation des travailleurs auprès des organismes sociaux. Le code des impôts local exclut des charges déductibles les salaires versés à des personnes n’ayant pas respecté l’obligation d’affiliation au régime de protection sociale. La Cour rappelle que les sommes versées à ces faux prestataires « n’étaient par suite pas déductibles du résultat » de la société. Cette sanction s’applique même si l’inspection du travail n’a pas exigé de régularisation immédiate pour les périodes antérieures à novembre 2018. Par ailleurs, la société perd le bénéfice des exonérations prévues pour les entreprises nouvelles et les entreprises exportatrices de services informatiques. Ces avantages fiscaux « ne peuvent être déterminés ou imputés sur des impositions consécutives à des rectifications » opérées par la direction des impôts. La rigueur de ces dispositions législatives interdit au juge de prendre en compte la bonne foi ou les prises de position antérieures de l’administration.

B. La reconnaissance de la nature salariale exclusive des sommes versées

Toutefois, la Cour censure l’administration pour avoir assujetti les rehaussements à l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers et à la contribution de solidarité. Les juges considèrent que les sommes versées aux prestataires l’ont été « en échange des prestations qu’ils ont fournies » dans un cadre professionnel. L’administration ne démontrait aucun désinvestissement ou distribution occulte, la réalité des missions informatiques accomplies n’étant pas formellement contestée lors du contrôle. En conséquence, les rémunérations requalifiées en salaires ne peuvent simultanément être regardées comme des revenus distribués aux mains d’associés ou de tiers. La juridiction d’appel prononce donc la décharge des cotisations supplémentaires afférentes aux revenus de capitaux mobiliers pour les exercices 2017 et 2018. Cette solution préserve la cohérence de la qualification juridique en limitant l’imposition à la seule contribution de solidarité sur les traitements et salaires. L’arrêt réforme ainsi partiellement le jugement de première instance tout en confirmant le principe du redressement pour le surplus de la requête.

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Hassan KOHEN
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