La Cour administrative d’appel de Paris a rendu, le 3 juillet 2025, une décision portant sur les limites du pouvoir d’éloignement des citoyens européens. Une ressortissante étrangère résidant en France a fait l’objet d’une interpellation pour des faits présumés de dégradation et de menaces réitérées. L’autorité administrative a alors constaté la caducité de son droit au séjour et l’a obligée à quitter le territoire français sans délai. Le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 10 juin 2024, a fait droit à la demande d’annulation de ces mesures. L’administration a interjeté appel, soutenant que le comportement de l’intéressée constituait une menace réelle et actuelle à l’ordre public. La juridiction d’appel devait déterminer si des poursuites pénales sans condamnation permettent de caractériser une menace suffisante pour justifier l’expulsion d’un ressortissant européen. La Cour rejette la requête administrative en soulignant le défaut de matérialité des faits et l’excellente intégration sociale de l’étudiante. L’étude du régime probatoire de la menace précèdera l’analyse des garanties liées à l’intégration personnelle de la citoyenne européenne.
I. La rigueur des exigences probatoires quant à la menace à l’ordre public
A. L’exigence de matérialité des faits reprochés
L’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose une motivation rigoureuse pour l’éloignement. La juridiction administrative rappelle qu’elle ne peut se fonder sur la seule existence d’une infraction pour valider une telle mesure coercitive. Elle doit examiner si la présence de l’intéressée constitue une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». En l’espèce, la ressortissante contestait vigoureusement les faits de dégradation et de menace qui lui étaient imputés par les services de sécurité. L’autorité administrative ne produit aucun élément complémentaire probant pour étayer la réalité des agissements dénoncés au stade de l’appel. Cette carence de preuve interdit de considérer que le comportement personnel de l’étrangère justifie légalement une atteinte à sa liberté de circulation.
B. L’insuffisance des procédures judiciaires en cours
L’existence d’une garde-à-vue ou l’ouverture d’une information judiciaire ne suffisent pas à établir la culpabilité d’un individu devant le juge administratif. L’arrêt précise que la mise en examen est « automatique dans le cadre d’une plainte pour diffamation avec constitution de partie civile ». Cette spécificité procédurale ne permet pas, à elle seule, de considérer que la matérialité des faits est juridiquement démontrée par l’administration. La Cour relève également que l’intéressée n’a fait l’objet d’aucune condamnation pénale pour les faits ayant motivé son interpellation initiale. Le silence gardé durant l’audition de police ne saurait être interprété comme un aveu ou comme la preuve d’une dangerosité particulière. Le contrôle juridictionnel vérifie ainsi la véracité des motifs avant d’examiner l’insertion de l’étranger dans la société française.
II. Une protection renforcée par l’examen de la situation individuelle
A. La prééminence des garanties offertes par le droit de l’Union
Le droit national doit être interprété à la lumière de la directive du 29 avril 2004 relative à la circulation des citoyens européens. Les juges se réfèrent explicitement à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne pour encadrer le pouvoir de l’administration. La protection contre l’éloignement s’accroît proportionnellement à la durée du séjour et à l’intensité des liens tissés sur le territoire d’accueil. En l’espèce, la requérante résidait en France depuis l’année 2018 et suivait un cursus universitaire d’excellence au sein d’un établissement prestigieux. Sa qualité de doctorante sous contrat témoignait d’une insertion sociale et professionnelle particulièrement forte et pérenne dans la société française. L’administration ne pouvait ignorer ce parcours académique lors de l’évaluation souveraine de la menace pour l’intérêt fondamental de la société.
B. La consécration d’un contrôle de proportionnalité strict
La solution retenue par la Cour administrative d’appel de Paris consacre la primauté de l’examen individuel sur une logique de précaution excessive. En rejetant la requête préfectorale, la juridiction administrative confirme que le trouble à l’ordre public doit être manifestement caractérisé pour prévaloir. L’annulation de l’interdiction de circulation pour une durée de vingt-quatre mois illustre la volonté de protéger les droits fondamentaux des citoyens. Cette décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle protectrice refusant de valider des mesures d’éloignement fondées sur de simples rapports de police. L’équilibre entre la sécurité publique et la liberté de séjour repose sur l’appréciation concrète des faits par le magistrat administratif. La condamnation de l’État aux frais de justice souligne enfin l’irrégularité de l’arrêté pris à l’encontre de la ressortissante.