Le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris, par une ordonnance du 30 avril 2025, statue sur la responsabilité de la puissance publique. Une ressortissante étrangère n’a pu valider son visa sur le portail numérique obligatoire malgré de nombreuses tentatives infructueuses auprès des services compétents. Cette impossibilité technique a entraîné le refus de prise en charge de ses frais d’accouchement par l’organisme de sécurité sociale. Saisi d’un appel contre une ordonnance de rejet, le juge devait trancher la question de la faute de l’administration. La requérante soutient que les défaillances du téléservice sont directement à l’origine de son préjudice matériel et de son trouble moral. L’administration excipe de l’incompétence de la juridiction administrative et conteste l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage. Le magistrat écarte l’exception d’incompétence et juge que l’Etat a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité. Il accorde une provision pour réparer les dettes hospitalières et le préjudice moral résultant de la précarité administrative.
I. La consécration d’une responsabilité pour faute du fait des défaillances du téléservice
A. Le caractère fautif de l’inaccessibilité persistante à la procédure dématérialisée
Le juge administratif souligne d’abord le caractère obligatoire de la démarche numérique imposée pour la validation des titres de séjour des ressortissants étrangers. La requérante a « tenté en vain de déclarer sa date d’entrée et son domicile via le téléservice » dans les délais prescrits par la réglementation. Les dysfonctionnements techniques de la plateforme ont fait obstacle à l’accomplissement de cette formalité indispensable pour justifier de la régularité de son séjour. L’administration, bien qu’informée à de multiples reprises par l’usagère, n’a pas apporté de solution concrète pour remédier à cette impossibilité matérielle. Cette carence dans le fonctionnement régulier du service public constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Le juge estime qu’en « ne remédiant pas, en temps utile, aux dysfonctionnements constatés », l’autorité administrative a manqué à ses obligations essentielles envers l’administré.
B. L’aggravation de la faute par l’inexécution d’une injonction juridictionnelle
La responsabilité étatique se trouve renforcée par le retard pris dans l’exécution d’une précédente décision de justice rendue en faveur de l’intéressée. Malgré une injonction du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, l’administration a tardé à délivrer le numéro nécessaire au dépôt d’une demande. Le magistrat d’appel relève que l’intéressée a seulement été mise en possession de son récépissé « après l’expiration de la validité de son visa de long séjour ». Ce retard fautif dans l’application d’une décision de justice aggrave la situation de l’usagère en prolongeant indûment sa période d’irrégularité administrative. En « tardant à prendre les mesures nécessaires à l’exécution de l’ordonnance », l’Etat commet une seconde faute distincte des seules défaillances techniques. Cette inertie administrative confirme que l’existence de l’obligation de réparation n’est pas sérieusement contestable au sens du code de justice administrative.
II. Une réparation intégrale fondée sur un lien de causalité direct et certain
A. L’imputabilité directe du préjudice financier à la rupture des droits sociaux
Le juge établit un lien de causalité étroit entre les fautes de l’administration et les dettes hospitalières contractées par la requérante. Faute de titre de séjour valide, l’organisme de sécurité sociale a refusé de couvrir les frais liés à la maternité et à l’hospitalisation. L’ordonnance précise que « la rupture des droits à l’assurance maladie de l’intéressée résulte donc très directement de l’impossibilité » de justifier son droit au séjour. Le dommage financier correspond précisément au montant des soins facturés par l’établissement hospitalier, soit une somme de 8 629,24 euros. Le juge rejette l’argumentation du préfet qui tentait de nier l’existence d’un préjudice matériel actuel et certain pour la victime. La créance est regardée comme certaine dès lors que l’intéressée demeure tenue au paiement du solde réclamé par le centre hospitalier.
B. La sanction des troubles résultant de la précarité administrative imposée
La cour indemnise également le préjudice extrapatrimonial subi par la requérante du fait de l’insécurité juridique et administrative dans laquelle elle a été maintenue. L’intéressée a dû multiplier les démarches amiables et contentieuses pour obtenir la simple reconnaissance de ses droits élémentaires au séjour en France. Le juge reconnaît l’existence d’un « préjudice moral et de troubles dans ses conditions d’existence » justifiant l’octroi d’une provision complémentaire. Cette situation a placé l’usagère dans une vulnérabilité sociale accrue, aggravée par l’absence prolongée de couverture médicale pendant une période de grossesse. Le montant de l’indemnisation à ce titre est fixé à 1 000 euros pour tenir compte de la durée de la carence administrative. L’arrêt confirme ainsi une approche protectrice des usagers face aux dérives possibles d’une administration numérique défaillante et peu réactive.