Cour d’appel administrative de Paris, le 5 mars 2025, n°23PA03081

La Cour administrative d’appel de Paris, par une décision rendue le 5 mars 2025, se prononce sur la qualification fiscale du prix de cession de titres sociaux. Une société française spécialisée dans le secteur du tabac a vendu sa filiale de distribution à une entité sœur établie en Espagne pour un montant convenu. L’administration fiscale a remis en cause cette évaluation en estimant que le prix de vente avait été minoré de plus de trois cent soixante millions d’euros. Ce rehaussement a entraîné l’application d’une retenue à la source sur le fondement des revenus distribués au profit d’une société étrangère. Le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de décharge de ces impositions par un jugement du 11 mai 2023. La société requérante soutient devant le juge d’appel que la méthode d’évaluation retenue par les services fiscaux manque de pertinence et de cohérence technique. Le litige porte sur la capacité de l’administration à démontrer une minoration de prix significative en substituant une approche historique à l’approche prospective de l’entreprise. La juridiction d’appel annule le jugement attaqué en considérant que l’administration n’apporte pas la preuve qui lui incombe concernant le caractère anormal de l’acte de gestion. L’analyse portera d’abord sur la remise en cause des paramètres de l’évaluation financière avant d’examiner l’absence de caractère significatif de l’écart de prix constaté.

I. L’insuffisante justification du recours à une méthode d’évaluation historique

A. Le défaut de fondement théorique du choix méthodologique de l’administration

L’administration fiscale a utilisé la méthode des flux de trésorerie actualisés mais a unilatéralement imposé une prime de risque de marché de 6 %. Elle a justifié ce choix par l’approche historique en invoquant un « horizon de long terme de l’investisseur » pour valider ce taux réduit. La Cour relève cependant que le service n’établit par aucune référence théorique la nécessité d’une telle approche pour un investisseur de cette nature. La société requérante a valablement souligné que le recours à une approche prospective est largement majoritaire dans les pratiques d’évaluation financière contemporaines. Le juge administratif considère que l’administration ne peut pas privilégier la subjectivité des attentes de l’acquéreur au détriment de la réalité objective du marché. L’absence d’arguments propres à la situation du marché lors de l’évaluation en litige prive de fondement le basculement vers une méthodologie historique.

B. L’incohérence technique des paramètres de calcul du coût du capital

La mise en œuvre de la méthode historique par les services fiscaux a été jugée défaillante en raison d’un mélange de données temporelles hétérogènes. L’administration a additionné une prime de risque calculée sur une longue durée à un taux sans risque déterminé sur une période de deux ans seulement. Cette rupture de cohérence temporelle entre les différents composants du taux d’actualisation fragilise l’ensemble du raisonnement tenu par l’autorité administrative. La Cour note également que l’administration a repris le coefficient de sensibilité au marché de l’entreprise sans tirer les conséquences de sa situation de monopole. « L’administration qui n’explique pas précisément pourquoi le taux de 6 % devait être privilégié » ne parvient pas à établir la légitimité de ses propres conclusions. Les comparaisons subsidiaires fondées sur des transactions antérieures ont été écartées car elles ne tenaient pas compte de la volatilité accrue des marchés financiers.

II. L’absence de caractère significatif du transfert de bénéfices présumé

A. L’appréciation de l’écart de valeur intégrant la trésorerie disponible

L’administration fiscale a souhaité ajouter le montant de la trésorerie disponible à la valeur d’entreprise pour déterminer la valeur vénale totale de la filiale. La société contestait cette intégration en raison de l’existence de dettes fiscales importantes liées aux droits d’accise collectés pour le compte de l’État. Même en acceptant l’inclusion de ces disponibilités, la valeur vénale totale n’aurait pas dépassé un milliard trente-trois millions d’euros selon les calculs de la Cour. L’écart entre ce montant et le prix de cession initialement convenu se limite alors à environ cent treize millions d’euros entre les parties. Cette différence mathématique constitue le socle sur lequel le juge doit apprécier l’existence d’un avantage consenti sans contrepartie par l’entreprise cédante.

B. Le rejet de la qualification de transfert indirect de bénéfices

La Cour administrative d’appel de Paris juge que l’écart constaté de 11 % entre le prix convenu et la valeur vénale n’est pas significatif. Une telle variation « ne saurait être regardée comme significative ni, par suite, susceptible de révéler une minoration du prix de vente » dans ce contexte. La complexité inhérente à la mise en œuvre de la méthode des flux de trésorerie actualisés justifie l’admission d’une certaine marge d’incertitude. L’administration n’établit pas que la société requérante n’était pas fondée à retenir les paramètres financiers initiaux pour évaluer sa propre filiale. En l’absence de preuve d’une minoration importante, l’existence d’un transfert de bénéfices ou d’un acte anormal de gestion ne peut être légalement retenue. La décharge des impositions est donc prononcée car le service échoue à démontrer l’appauvrissement intentionnel de l’entreprise française au profit de son associée.

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Hassan KOHEN
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