La cour administrative d’appel de Toulouse, par une décision rendue le 11 mars 2025, précise les conditions de recevabilité et de fond du contentieux indemnitaire des agents publics. Un fonctionnaire territorial, promu rédacteur principal, conteste la cotation de son poste de contrôleur de gestion externe fixée lors d’une mutualisation de services intercommunaux. Ayant sollicité vainement une revalorisation de son régime indemnitaire auprès de divers services de la métropole, il se heurte à des rejets implicites successifs de son employeur. Le tribunal administratif de Montpellier rejette ses demandes en mars 2023, considérant les conclusions en annulation comme tardives et les demandes indemnitaires comme infondées. L’appelant soutient devant la juridiction d’appel que l’absence d’accusé de réception et la nature de ses démarches hiérarchiques auraient dû préserver ses droits à agir. Il invoque parallèlement une rupture d’égalité, ses collègues contractuels de catégorie A bénéficiant d’une cotation supérieure pour des missions qu’il estime identiques aux siennes. La juridiction doit déterminer si le caractère définitif du refus d’annulation fait obstacle à l’indemnisation et si la cotation peut légalement dépendre du grade de l’agent. Le juge d’appel valide l’irrecevabilité des conclusions en annulation mais sanctionne l’illégalité de la cotation, octroyant une réparation financière pour le préjudice matériel effectivement subi.
I. Une application rigoureuse des règles de forclusion aux conclusions en annulation
A. La cristallisation du refus par l’intervention d’une décision implicite initiale
Le juge d’appel rappelle que le silence gardé par l’administration pendant deux mois fait courir le délai de recours à l’encontre d’un agent public. Cette règle s’applique impérativement même si l’administration n’a pas délivré l’accusé de réception prévu par le code des relations entre le public et l’administration. La cour souligne ainsi que les dispositions relatives à l’inopposabilité des délais en l’absence d’accusé de réception « ne sont pas applicables aux relations entre l’administration et ses agents ». L’agent ayant formulé une première demande dès mai 2019, le rejet implicite né deux mois plus tard était devenu définitif faute de contestation rapide. Les demandes ultérieures, formulées auprès de différentes autorités de la même personne publique, ne constituent que des décisions confirmatives ne pouvant rouvrir le délai de recours. La juridiction administrative confirme ainsi la tardivité des conclusions tendant à l’annulation de la décision de refus, protégeant la stabilité des actes administratifs individuels.
B. L’autonomie de l’action indemnitaire en l’absence de décision pécuniaire expresse
Si l’annulation de la décision est devenue impossible, l’action en responsabilité demeure toutefois ouverte à l’agent sous certaines conditions strictes de forme. L’administration opposait une fin de non-recevoir tirée de l’expiration du délai de recours contre une décision purement pécuniaire, ce qui ferait obstacle à l’indemnisation. La cour écarte cet argument en relevant que l’établissement public n’apporte « aucun commencement de preuve quant à l’existence d’une telle décision expresse et à sa notification ». En l’absence d’un acte exprès notifié avec mention des voies de recours, le délai de forclusion ne peut être opposé aux conclusions indemnitaires de l’appelant. Cette solution préserve le droit au juge pour la réparation des dommages subis, dès lors que le litige n’a pas été tranché par un acte pécuniaire définitif. Le juge d’appel peut alors engager l’examen du bien-fondé de la demande sur le terrain de la faute née de l’illégalité du refus.
II. La reconnaissance d’une faute administrative par méconnaissance des critères de cotation
A. L’illégalité d’une distinction fondée sur le grade pour la part fonctionnelle
Le litige porte sur l’application d’un régime indemnitaire dont la part fonctionnelle repose sur un système de cotation des postes de travail strictement défini. Selon les délibérations locales, la cotation doit tenir compte du « niveau de responsabilité, d’expertise et de sujétions particulières qui caractérisent chaque poste ». La cour observe que l’agent s’est vu attribuer une cotation inférieure à celle de ses collègues occupant pourtant le même emploi de contrôleur de gestion. L’administration justifiait cette différence par l’appartenance de l’agent à la catégorie B alors que ses collaborateurs relevaient de la catégorie A. Le juge censure ce raisonnement en soulignant que le système de cotation est « corrélé ni au grade de l’agent occupant le poste concerné, ni à sa manière de servir ». En fondant la rémunération sur le statut plutôt que sur la réalité des fonctions exercées, l’administration méconnaît les règles qu’elle s’est elle-même fixées.
B. La délimitation du préjudice indemnisable au seul dommage matériel direct
La constatation de cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique envers son agent pour les préjudices subis. La cour s’appuie sur le compte-rendu d’évaluation professionnelle précisant que « la fiche de poste des contrôleurs de gestion externe est identique pour chacun ». L’égalité de traitement entre les agents effectuant des missions similaires impose une cotation identique, justifiant ainsi le versement d’une indemnité réparatrice du manque à gagner. Le juge condamne la métropole à verser la somme de 1 390 euros, correspondant à la différence de traitement mensuel non perçue sur la période litigieuse. En revanche, le préjudice moral lié à un sentiment d’abandon ou à un échec sportif personnel est rejeté faute de lien de causalité établi. Cette décision consacre ainsi une protection efficace contre les discriminations indemnitaires internes tout en maintenant une exigence de preuve rigoureuse pour les dommages extrapatrimoniaux.