Par un arrêt rendu le 2 octobre 2025, la Cour administrative d’appel de Toulouse précise les conditions de justification des dettes inscrites au passif d’un bilan. Une société exerçant l’activité de marchand de biens a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2016 et 2017. L’administration a réintégré dans les résultats de l’exercice 2016 des dettes fournisseurs s’élevant à plus de 1,7 million d’euros, jugées alors injustifiées. La société a contesté ces suppléments d’impôt sur les sociétés devant le tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté sa demande en octobre 2023. Saisie en appel, la juridiction devait déterminer si des contrats de prêts non déclarés et imprécis permettent de justifier la réalité d’une dette. Les juges confirment que le contribuable ne démontre pas l’existence de son passif et valident ainsi le redressement opéré par le service. L’étude de cette solution conduit à examiner la rigueur de l’exigence de preuve (I) avant d’analyser l’inefficacité des garanties invoquées par le contribuable (II).
I. La rigueur de l’exigence de preuve de la réalité des passifs
A. L’obligation pour le contribuable de justifier les dettes inscrites au bilan
En vertu du code général des impôts, le bénéfice net correspond à la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture. « L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. » Il appartient donc au contribuable de justifier l’inscription d’une dette au passif de son entreprise lors d’une procédure de vérification de comptabilité. La cour rappelle ici une règle classique de dévolution de la charge de la preuve en matière de passif injustifié par le service fiscal. Cette obligation de justification s’impose strictement pour garantir la sincérité des écritures comptables ainsi que l’exactitude des résultats sociaux soumis à l’impôt.
B. Le rejet de justificatifs dépourvus de force probante
La société requérante soutenait avoir contracté des prêts auprès de quinze entités étrangères entre les années 2006 et 2008 pour financer son activité. Cependant, les juges relèvent que les contrats produits datent seulement de 2013 à 2015 et présentent des lacunes importantes dans leur rédaction globale. « La société ne peut être regardée comme démontrant que la somme portée au passif de son bilan correspondrait à des prêts contractés » anciennement. L’absence de déclaration de ces contrats auprès de l’administration fiscale française constitue un manquement supplémentaire aux obligations légales prévues par le code. La juridiction refuse de reconnaître la réalité des dettes en raison de l’imprécision des documents et du caractère tardif des démarches accomplies.
II. L’inefficacité des mécanismes de protection du contribuable
A. L’inopposabilité du mécanisme de correction symétrique en l’absence de preuve
Le contribuable invoquait le mécanisme de correction symétrique des bilans pour s’opposer à la réintégration de sommes figurant au passif depuis plusieurs exercices. Selon les dispositions fiscales, l’actif net d’ouverture du premier exercice non prescrit ne peut normalement être corrigé des erreurs ou omissions très anciennes. Toutefois, la cour précise que « la circonstance que la dette alléguée ait été portée en comptabilité au cours d’un exercice prescrit ne fait pas obstacle » à la réintégration. L’administration peut valablement rectifier le bilan si le contribuable n’apporte pas la preuve initiale et certaine de la réalité de sa dette. La protection contre les redressements sur des exercices clos depuis plus de sept ans ne s’applique donc pas aux passifs dont l’existence demeure contestée.
B. L’absence de garantie contre les changements d’appréciation de l’administration
La société tentait également de se prévaloir d’une prise de position formelle de l’administration lors d’une vérification de comptabilité antérieure effectuée durant l’année 2009. Les juges écartent ce moyen en soulignant que l’absence de rectification ne saurait constituer une garantie opposable sur le fondement du livre des procédures fiscales. « Cette absence de redressement ne saurait être assimilée à une prise de position formelle sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal. » La cour confirme ainsi que le silence gardé par les services fiscaux lors d’un précédent contrôle ne lie jamais l’administration pour l’avenir. Le principe de libre circulation des capitaux est enfin jugé inopérant puisque la mesure ne vise aucunement à entraver les flux financiers transfrontaliers.