Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 juillet 2025, n°23/12230

La prévention des risques professionnels liés aux activités de surveillance et de gardiennage soulève des questions essentielles en matière de faute inexcusable de l’employeur. La protection des agents de sécurité exposés à des situations potentiellement dangereuses constitue une obligation particulièrement exigeante, dont le non-respect peut engager la responsabilité de l’entreprise.

Un salarié, employé en qualité de responsable sur site de la sécurité depuis le 1er juillet 2014, a été victime le 7 mars 2018 d’un accident du travail. Affecté à la surveillance d’un parking, il a été agressé physiquement après avoir poursuivi six individus au comportement agressif qu’il avait surpris au niveau -5 du parking. L’un des individus, dissimulé sous un échafaudage, lui a porté un coup au niveau de l’épaule gauche. L’accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle le 10 avril 2018. Le salarié a été licencié pour inaptitude le 5 juin 2020.

Le salarié a saisi le 21 mai 2021 le pôle social du tribunal judiciaire aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Par jugement du 11 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Toulon a reconnu la faute inexcusable, alloué une provision de 3 000 euros et ordonné une expertise médicale. L’employeur a interjeté appel, contestant avoir eu conscience du danger et soutenant que le salarié avait outrepassé ses fonctions en poursuivant les individus sur la voie publique. Le salarié soutenait que l’employeur avait connaissance des risques d’agression et n’avait pris aucune mesure de prévention adéquate.

La question posée à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence était de savoir si l’employeur d’un agent de sécurité, informé de dysfonctionnements des équipements d’alerte et de précédentes agressions, commet une faute inexcusable lorsque son salarié est agressé lors d’une intervention contre des individus au comportement perturbateur dans l’enceinte du site surveillé.

Par arrêt du 11 juillet 2025, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement entrepris, retenant que l’employeur avait nécessairement conscience du risque d’agression et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié. Elle a précisé que le recours de la caisse ne pourrait s’exercer que dans la limite du taux d’incapacité permanente partielle définitivement opposable à l’employeur.

Cette décision mérite analyse tant au regard des conditions de la conscience du danger par l’employeur dans l’activité de sécurité privée (I) que des conséquences attachées à l’absence de mesures effectives de prévention (II).

I. La caractérisation de la conscience du danger inhérent à l’activité de surveillance

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence retient que la conscience du risque d’agression est consubstantielle aux fonctions d’agent de sécurité (A), tout en admettant que l’intervention du salarié au-delà du périmètre strict du site ne rompt pas le lien avec l’obligation de sécurité de l’employeur (B).

A. L’appréciation du risque d’agression comme élément constitutif de la fonction de gardiennage

La cour énonce que « une telle intervention exposant nécessairement le salarié seul, à ce moment là, à un risque d’agression dont l’employeur ne peut pas ne pas avoir conscience ». Cette formulation consacre une présomption de conscience du danger attachée à la nature même de l’activité de surveillance et de gardiennage.

L’employeur soutenait que le site ne présentait pas de risques supérieurs à ceux raisonnablement prévisibles dans cette activité. La cour écarte cet argument en relevant l’existence de signalements antérieurs. Elle constate que le salarié avait « préalablement à son accident du travail signalé une précédente agression sur un autre site dont il avait été victime avec son binôme ». L’accumulation des incidents portés à la connaissance de l’employeur rendait impossible toute ignorance du danger.

Le raisonnement de la cour s’inscrit dans une jurisprudence constante qui retient que la conscience du danger s’apprécie in abstracto au regard de la nature de l’activité, mais également in concreto au regard des informations effectivement portées à la connaissance de l’employeur. En l’espèce, le courriel de mise en garde du 15 janvier 2018 relatif à une recrudescence d’effractions sur les caisses automatiques du parking constituait un élément déterminant de cette connaissance effective.

B. Le maintien du lien de causalité malgré l’initiative du salarié

L’employeur arguait que le salarié avait outrepassé ses fonctions en poursuivant les individus sur la voie publique, en violation de l’article L.613-1 du code de sécurité intérieure qui limite l’exercice des fonctions d’agent de sécurité à l’intérieur des bâtiments dont ils ont la garde.

La cour rejette cette analyse. Elle énonce qu’« il entrait dans les attributions de surveillance du salarié de mettre un terme aux agissements perturbateurs de personnes ayant en réalité pénétré dans ce parking alors qu’elles n’étaient pas clientes ». La poursuite des individus constituait ainsi le prolongement naturel de la mission de surveillance.

La cour ajoute qu’il importe peu que « lors de cette agression surprise, le salarié se soit trouvé sur les dernières marches de l’escalier ou juste devant », dès lors que « cette agression est la conséquence de la poursuite de ces personnes dans les escaliers du parking ». Le lien de causalité entre l’intervention professionnelle et l’accident se trouve ainsi préservé, indépendamment du lieu exact où le coup a été porté.

Cette solution s’avère conforme au principe selon lequel la faute de la victime n’exonère pas l’employeur de sa responsabilité pour faute inexcusable. Seule une faute inexcusable du salarié au sens de l’article L.453-1 du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire « une faute d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison son auteur à un danger dont il aurait dû avoir connaissance », pourrait réduire la rente. Or, l’intervention du salarié face à des individus perturbateurs relevait précisément de ses attributions professionnelles.

II. L’insuffisance des mesures de prévention face au risque identifié

La cour caractérise le manquement de l’employeur à son obligation de prévention tant par l’absence de maintien des dispositifs existants (A) que par la défaillance des équipements de protection mis à disposition du salarié (B).

A. L’abandon du dispositif de rondes en binôme

La cour relève que l’employeur avait mis en place, par courriel du 5 décembre 2017, « un tableau de rondes à effectuer en binôme, précisant l’utilisation d’un véhicule pour deux agents, notamment pour le parking République ». Elle constate cependant qu’« il ne justifie pas de la reconduction de ce dispositif, notamment à la date de l’accident du travail ».

L’employeur soutenait qu’aucune norme légale ou réglementaire n’impose la mise en place d’interventions en binôme dans le domaine de la sécurité privée. La cour ne se prononce pas sur cette question mais retient que l’existence d’un tel dispositif, même facultatif, créait une obligation pour l’employeur d’en assurer la continuité dès lors qu’il répondait à un risque identifié.

La charge de la preuve constitue ici un élément déterminant du raisonnement. La cour énonce que « contrairement à ce qui est allégué par l’employeur, la charge de la preuve du respect de son obligation de prévention lui incombe ». Elle précise que « l’employeur n’étaye pas son allégation selon laquelle le salarié n’était pas seul sur ce site lors de cette agression, ne soumettant à la cour aucun élément relatif aux affectations de ses salariés, à l’heure de l’agression ».

Cette répartition de la charge probatoire se justifie par la nature même de l’obligation de sécurité. Le salarié établit les circonstances de l’accident et leur lien avec une obligation de prévention. Il appartient alors à l’employeur de démontrer qu’il a mis en œuvre « des mesures efficaces et suffisantes pour prévenir le risque qui s’est réalisé ».

B. La défaillance persistante des équipements d’alerte

La cour relève que le téléphone de protection du travailleur isolé mis à disposition du salarié ne fonctionnait pas au moment de l’accident. Elle constate que ce dysfonctionnement avait été signalé antérieurement, sans que l’employeur n’y remédie.

Plusieurs éléments de preuve établissent cette défaillance. Un courriel du 16 janvier 2018 du responsable informatique indiquait qu’« il y a bien un problème avec le compte utilisateur ». Un test effectué le 9 mars 2018 confirmait qu’« aucun appel de téléphone sud » n’était reçu malgré le déclenchement de la minuterie. Un salarié attestait qu’à sa prise de poste en remplacement du salarié victime, « l’appareil de protection du travailleur isolé n’a pas été mis en place, ni avant, ni après ».

La cour en déduit qu’« il résulte de ces éléments que le salarié avait signalé avant son agression les dysfonctionnements dans l’équipement mis à sa disposition par son employeur lui permettant de solliciter une intervention en renfort, sans que pour autant celui-ci ne prenne les dispositions nécessaires pour y remédier ».

L’employeur arguait que les téléphones de protection du travailleur isolé ne constituent pas des moyens de prévention contre les risques d’agression mais permettent seulement d’assurer l’intervention des secours en cas d’urgence. La cour n’accueille pas cette distinction. La possibilité de solliciter une intervention en renfort participe de la prévention du risque d’agression, en ce qu’elle permet au salarié de ne pas se retrouver seul face à une situation dangereuse.

La convergence de ces éléments, abandon du dispositif de rondes en binôme et défaillance persistante des équipements d’alerte malgré les signalements, caractérise le manquement de l’employeur à son obligation de prévention et, partant, sa faute inexcusable.

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Hassan KOHEN
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