Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 13 juin 2025, n°20/05062

La réticence dolosive du vendeur, consistant à dissimuler une information dont il connaît le caractère déterminant pour l’acquéreur, constitue une faute civile distincte des vices cachés. Cette qualification permet à la victime d’obtenir réparation sur le fondement délictuel sans se heurter aux délais de garantie. L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 13 juin 2025 illustre cette problématique dans le contexte particulier d’une vente immobilière affectée par la présence d’une galerie souterraine non révélée.

Une société en nom collectif avait réalisé un lotissement sur le site d’une ancienne papeterie longeant une rivière. Les anciens bâtiments d’exploitation étaient reliés à la rivière par des galeries souterraines qui ne figuraient pas sur les plans d’exécution du lotissement. Des acquéreurs ont acheté un lot et y ont fait construire une maison. Suite à de fortes intempéries, des venues d’eau provenant de la rivière ont provoqué l’affaissement de la construction et l’apparition de fissures. Les expertises judiciaires ont établi que les désordres avaient plusieurs origines, notamment la nature du sol et la proximité de la rivière, aggravées par la présence d’une galerie souterraine qui, lors des crues, favorisait l’imbibition des sols d’assises.

Les acquéreurs ont assigné les associés de la société venderesse, initialement sur le fondement de la garantie des vices cachés puis sur celui de la réticence dolosive. Un plan topographique établi antérieurement à la vente par un cabinet de géomètres mentionnait l’existence de cette galerie. Ce même cabinet avait ensuite établi les plans annexés à l’acte de vente sans y faire figurer cette information.

Le tribunal judiciaire de Toulon, par jugement du 3 mars 2020, avait condamné les ayants droit des associés de la société venderesse à payer des dommages et intérêts aux acquéreurs mais avait débouté ces derniers de leurs demandes contre le cabinet de géomètres. La cour d’appel devait donc se prononcer sur la caractérisation de la réticence dolosive et sur le partage de responsabilité entre les différents intervenants.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence retient que « le caractère intentionnel du manquement et le caractère déterminant de l’erreur provoquée permettait de retenir une réticence dolosive ». Elle juge également que le cabinet de géomètres « a donc commis une faute en ce que les plans remis aux époux ne leur ont pas permis d’être informés de la présence de cette galerie souterraine ». Elle prononce une condamnation in solidum des associés de la société venderesse et du cabinet de géomètres.

Cet arrêt invite à examiner les conditions de caractérisation de la réticence dolosive du vendeur professionnel (I) avant d’analyser l’extension de la responsabilité aux professionnels intervenant dans l’opération immobilière (II).

I. La caractérisation de la réticence dolosive du vendeur professionnel

La cour précise les éléments constitutifs de la réticence dolosive (A) avant de définir les modalités d’évaluation du préjudice en résultant (B).

A. Les éléments constitutifs de la réticence dolosive

La cour rappelle le principe selon lequel « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait, qui, s’il avait été connu de lui, l’auraient dissuadé de contracter ou l’auraient conduit à le faire dans des conditions différentes ». Elle ajoute que « l’existence d’une intention dolosive suppose nécessairement, à titre de condition préalable, que le contractant ait eu connaissance de la circonstance qu’on lui reproche d’avoir tu ».

En l’espèce, la preuve de cette connaissance résultait du plan topographique remis à la société venderesse qui montrait « le tracé d’une galerie souterraine ». La cour en déduit que « la société venderesse connaissait l’existence de cette galerie souterraine et, au moins, d’une partie de son tracé, ce dont elle avait omis d’informer les acquéreurs ».

La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant la réunion de trois éléments : la connaissance par le vendeur de l’information dissimulée, le caractère intentionnel de la dissimulation et le caractère déterminant de l’information tue. La cour relève que la société venderesse, ayant pour objet social « l’aménagement de terrains en vue de la création de lotissement », était un « professionnel averti » qui « ne pouvait donc ignorer le caractère déterminant de la galerie souterraine ». Cette qualité de professionnel renforce l’obligation d’information pesant sur le vendeur et facilite la preuve de l’intention dolosive.

La cour précise utilement que « le fait que cette galerie soit ou non l’une des causes des désordres affectant l’habitation est, à ce stade, sans influence sur la dissimulation invoquée ». Cette distinction entre l’appréciation du dol et celle du lien de causalité dans la réparation du préjudice témoigne d’une analyse rigoureuse des conditions de la responsabilité civile.

B. L’évaluation du préjudice consécutif au dol

La cour énonce qu’« il résulte du devoir général de bonne foi énoncé par l’article 1104 du code civil que la victime d’un dol peut faire réparer le préjudice que lui ont causé les manœuvres de son cocontractant par une indemnisation pécuniaire qui peut prendre la forme de la restitution de l’excès de prix qu’elle a été conduite à payer ».

Elle précise que cette indemnisation « doit s’analyser en la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses » et que « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle avait été réalisée ».

Les acquéreurs sollicitaient une somme correspondant à la valeur intégrale de leur bien en soutenant qu’il « ne vaut rien ». La cour rejette cette prétention en relevant qu’ils « n’apportent aucun élément probant » et que « la réparation entière des désordres affectant leur bien a été ordonnée ». L’allocation d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts apparaît mesurée au regard de l’expertise ayant évalué à 11 141,85 euros le coût de l’impact de la présence de la galerie.

Cette approche restrictive de l’évaluation du préjudice peut surprendre dès lors que la réticence dolosive a été caractérisée. Elle se justifie néanmoins par le principe de réparation intégrale qui interdit d’indemniser au-delà du préjudice réellement subi. La perte de chance de contracter à des conditions plus avantageuses ne saurait équivaloir à la perte totale de la valeur du bien.

II. L’extension de la responsabilité aux professionnels de l’opération immobilière

La cour retient la responsabilité du géomètre pour manquement à son devoir d’information (A) et organise le partage de responsabilité entre les différents intervenants (B).

A. La responsabilité du géomètre pour défaut d’information

Le cabinet de géomètres soutenait que « sa mission était limitée à un examen de la surface du sol et au morcellement de la superficie » et qu’aucune faute ne pouvait lui être reprochée. La cour écarte cet argument en relevant que « si la mission du géomètre était limitée à un examen de la surface du sol, la présence d’une galerie souterraine, tel qu’elle résulte du plan topographique du 15 mai 1986, se devait de figurer sur l’ensemble des documents établis ».

Cette solution consacre un devoir de cohérence documentaire pesant sur le professionnel. Le géomètre qui a connaissance d’une information pertinente figurant sur un document antérieur ne peut l’omettre des documents ultérieurs établis pour la même opération. La cour ajoute que les plans postérieurs « ne comportent aucune côte de niveau, ce qui n’a pas permis d’attirer l’attention notamment du constructeur sur la présence de remblai et donc sur la composition médiocre du sol ».

Cette extension de la responsabilité au géomètre sur le fondement extracontractuel protège efficacement les tiers à la convention liant le professionnel à son client. Elle sanctionne le manquement à une obligation générale de vigilance qui dépasse le cadre strict de la mission confiée.

B. Le partage de responsabilité entre coresponsables

La cour prononce une condamnation in solidum de la société venderesse, de ses associés et du cabinet de géomètres. Elle précise ensuite la contribution de chacun dans les rapports entre coobligés : « SNC SFTS 60 % ; ayants-droits de deux des associés de la SNC : 25 % ; la SCP [géomètres] : 15 % ».

Cette répartition reflète la gravité respective des fautes commises. Le constructeur supporte la part la plus importante en raison de l’inadaptation des fondations à la nature du sol, faute technique directement à l’origine des désordres. Les associés de la société venderesse voient leur part fixée à 25 % au titre de la réticence dolosive caractérisée. Le géomètre ne supporte que 15 % de la charge finale, son manquement étant moins directement causal.

La cour refuse en revanche de faire supporter au constructeur ou aux vendeurs la sanction du doublement des intérêts légaux prononcée contre l’assureur dommages-ouvrage. Elle juge que cette sanction, fondée sur l’article L. 242-1 du code des assurances, est propre à l’assureur défaillant. Cette solution préserve le caractère comminatoire de la sanction qui perdrait son efficacité si l’assureur pouvait systématiquement en reporter la charge sur des tiers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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