Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 19 juin 2025, n°24/11761

La possibilité pour un créancier de saisir un compte joint afin de recouvrer une dette contractée par un seul des époux mariés sous le régime de la communauté universelle soulève des questions délicates à l’intersection du droit des régimes matrimoniaux et du droit de l’exécution forcée. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 19 juin 2025, apporte une réponse claire en confirmant la validité d’une telle saisie.

Une société de travaux avait obtenu, par jugement réputé contradictoire du 27 janvier 2023 du tribunal judiciaire de Grasse, la condamnation d’un particulier au paiement de diverses sommes au titre de dépenses engagées et de perte de marge sur un chantier abandonné. Le jugement fut signifié le 27 février 2023. Le débiteur interjeta appel et sollicita, sans succès, l’arrêt de l’exécution provisoire devant le premier président.

Le 7 août 2023, la société créancière fit pratiquer une saisie-attribution sur un compte bancaire détenu conjointement par le débiteur et son épouse. La saisie, intégralement fructueuse, fut dénoncée aux deux époux. Ces derniers, mariés sous le régime de la communauté universelle depuis un jugement d’homologation du 11 juin 2004, contestèrent la mesure devant le juge de l’exécution de Draguignan. L’épouse intervint volontairement à la procédure.

Par jugement du 6 septembre 2024, le juge de l’exécution rejeta l’ensemble des contestations et valida la saisie. Les époux relevèrent appel de cette décision.

Devant la cour, les appelants soulevaient plusieurs moyens de nullité : l’irrégularité formelle de l’acte de saisie mentionnant une adresse erronée du siège social du créancier, le caractère non avenu du titre exécutoire pour défaut de signification régulière, le caractère abusif de la saisie fondée sur des documents prétendument falsifiés, et l’impossibilité de saisir leur compte joint au motif que l’épouse n’avait contracté aucune dette. La société intimée concluait à la confirmation du jugement et formait appel incident aux fins de dommages et intérêts pour procédure abusive.

La cour d’appel devait déterminer si une saisie-attribution pratiquée sur un compte joint peut produire ses pleins effets lorsque le titre exécutoire ne vise qu’un seul des époux mariés sous le régime de la communauté universelle.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions. Elle écarte successivement les moyens de nullité soulevés et juge que la dette contractée par l’un des époux constitue une dette de communauté au sens de l’article 1413 du code civil, permettant au créancier de saisir l’intégralité du compte joint.

La solution retenue éclaire le régime de l’obligation aux dettes dans la communauté universelle (I) et précise les conditions de la saisie d’un compte joint (II).

I. Le régime de l’obligation aux dettes dans la communauté universelle

La cour rappelle l’articulation entre les règles propres à la communauté universelle et celles de la communauté légale (A), avant d’appliquer la présomption de communauté aux dettes contractées par un époux (B).

A. L’application subsidiaire des règles de la communauté légale

La cour fonde son raisonnement sur l’article 1497 du code civil aux termes duquel « les règles de la communauté légale restent applicables en tous les points qui n’ont pas fait l’objet de la convention des parties ». Cette disposition établit un mécanisme de comblement des lacunes du contrat de mariage par renvoi au régime légal.

L’article 1526 alinéa 2 du code civil, propre à la communauté universelle, dispose que celle-ci « supporte définitivement toutes les dettes des époux présentes et futures ». Cette règle gouverne la contribution aux dettes entre époux. Elle ne règle pas, en revanche, la question de l’obligation aux dettes envers les créanciers, laquelle demeure soumise aux articles 1413 à 1415 du code civil.

La cour relève « l’absence de disposition conventionnelle dérogatoire établie » dans le contrat de mariage des époux. Cette précision méthodologique souligne que les parties auraient pu, par stipulation expresse, déroger aux règles supplétives du régime légal. Le silence du contrat emporte application des dispositions de droit commun relatives au passif.

B. La qualification de dette de communauté

L’article 1413 du code civil pose une règle de principe d’une grande portée : « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs ». La formule « pour quelque cause que ce soit » traduit une présomption de communauté du passif symétrique à celle qui gouverne l’actif.

La cour qualifie la dette litigieuse, née de l’inexécution d’un contrat de travaux, de « dette de communauté par l’effet de la présomption légale ». Cette qualification emporte des conséquences considérables sur le droit de gage du créancier. L’époux débiteur répond de cette dette sur ses biens propres et sur les biens communs, offrant ainsi au créancier une assiette de recouvrement élargie.

La cour prend soin de distinguer cette dette de celles visées par l’article 1415 du code civil, lequel soustrait au gage des créanciers les biens communs lorsque la dette résulte d’un emprunt ou d’un cautionnement contracté sans le consentement du conjoint. Les appelants ne pouvaient donc « utilement invoquer la règle probatoire spéciale applicable à l’article 1415 ». Cette précision revêt une importance pratique considérable dans la mesure où elle détermine la charge de la preuve.

II. Les conditions de la saisie du compte joint

La cour précise le régime de la saisie-attribution pratiquée sur un compte joint (A) et écarte les moyens de nullité formelle invoqués par les débiteurs (B).

A. L’efficacité de la saisie sur l’intégralité du compte

La cour énonce que « le créancier est en droit de saisir les comptes de communauté, notamment un compte-joint, alimentés conjointement par les revenus des époux ». Cette affirmation découle logiquement de la qualification de dette de communauté retenue précédemment.

Toutefois, le droit de l’exécution aménage une protection au profit du conjoint non débiteur. L’article R 162-9 du code des procédures civiles d’exécution permet à l’époux commun en biens de conserver une somme équivalente à ses gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ou à leur moyenne sur les douze derniers mois. Ce mécanisme de cantonnement préserve les ressources nécessaires à la vie courante du ménage.

La cour relève que l’épouse « n’a pas formé une telle demande et n’allègue pas que les fonds saisis sont constitutifs de ses gains et salaires ». Cette abstention lui est opposable. Le cantonnement constitue une faculté offerte au conjoint, non une obligation pesant sur le créancier saisissant. Le défaut de demande dans le délai de dix jours prévu par les textes prive le conjoint de cette protection.

B. Le rejet des moyens de nullité formelle

Les appelants soulevaient plusieurs irrégularités affectant tant l’acte de saisie que le titre exécutoire. La cour les écarte méthodiquement en appliquant le régime des nullités pour vice de forme.

S’agissant de la mention erronée du siège social du créancier dans l’acte de saisie, la cour rappelle les exigences de l’article 114 du code de procédure civile : « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour la partie qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité ». Les débiteurs prétendaient que cette erreur avait désorganisé leur défense. La cour rejette cet argument en relevant que « la levée d’un extrait k-bis d’une société à assigner est une démarche indispensable, rapide, simple et peu coûteuse ». Le grief ne peut résider dans une recherche élémentaire que tout plaideur diligent accomplit préalablement à toute action.

La cour ajoute que les débiteurs ont « respecté le délai de contestation d’un mois et ont valablement saisi le juge de l’exécution ». L’absence de grief se vérifie concrètement par l’exercice effectif des voies de recours. Cette approche téléologique du grief, appréciée au regard de l’effectivité du droit d’accès au juge, caractérise la jurisprudence contemporaine des nullités de procédure.

S’agissant de la signification du titre exécutoire, les appelants soutenaient qu’elle avait été effectuée à leur résidence secondaire et non à leur domicile principal. La cour relève que l’huissier avait accompli les diligences prescrites par les articles 654 à 656 du code de procédure civile, notamment en se présentant aux deux adresses connues. Une personne rencontrée à l’adresse de la résidence principale avait indiqué que les débiteurs résidaient principalement à l’autre adresse, où leur nom figurait sur la boîte aux lettres.

La cour observe enfin que le moyen de nullité « n’a pas été invoqué devant le premier président saisi d’un référé aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire ». Cette remarque, sans constituer une fin de non-recevoir, souligne le caractère opportuniste de la contestation tardive. Les débiteurs avaient manifestement eu connaissance du jugement puisqu’ils en avaient relevé appel dans le délai légal.

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Hassan KOHEN
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