Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 2 juillet 2025, n°21/00881

Le sursis à statuer constitue un mécanisme procédural permettant au juge de suspendre le cours d’une instance dans l’attente de l’issue d’un autre litige. L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 2 juillet 2025 illustre la mise en œuvre de ce pouvoir discrétionnaire du juge, dans un contexte où une partie s’est vu opposer l’irrecevabilité de sa propre demande de sursis.

Une propriétaire, alors âgée de 84 ans, avait confié en septembre 2017 à une agence immobilière un mandat de vente sans exclusivité portant sur un bien situé dans les Alpes-Maritimes, au prix de 526 000 euros. Les honoraires devaient être partagés entre acquéreur et vendeur. Une société a formulé une offre d’achat à 520 000 euros, mentionnant une réduction des honoraires de l’agence à 20 000 euros. Après avoir accepté cette offre, la venderesse a refusé de conclure la vente. L’agence immobilière l’a alors assignée en dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance de Grasse. Parallèlement, la société acquéreuse a engagé une procédure distincte devant le tribunal de Nice aux fins de voir la vente déclarée parfaite.

Le tribunal judiciaire de Grasse, par jugement du 7 janvier 2021, a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la venderesse, au motif qu’elle n’avait pas été présentée in limine litis. Sur le fond, le tribunal a débouté l’agence de ses demandes indemnitaires, considérant que l’offre n’était pas conforme au mandat. L’agence a interjeté appel. Dans le cadre de l’instance parallèle, le tribunal de Nice a rejeté la demande d’annulation de l’offre d’achat mais constaté l’absence d’accord sur la vente. Ce jugement a fait l’objet d’un appel. Par arrêt du 12 mars 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a déclaré la venderesse irrecevable en sa demande de sursis, tout en ordonnant la réouverture des débats.

La question posée à la cour était de déterminer si le juge peut, de son propre pouvoir, ordonner un sursis à statuer lorsque l’issue d’une autre procédure est susceptible d’exercer une influence sur la solution du litige dont il est saisi, alors même que la partie n’était pas recevable à soulever cette exception.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence ordonne le sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt à intervenir dans la procédure parallèle. Elle relève que « le juge a toujours la possibilité, quand bien même les parties ne sont pas recevables à soulever cette exception de procédure, d’ordonner un sursis à statuer si l’issue de la procédure dont il est saisi dépend d’une autre procédure en cours ou que celle-ci est susceptible d’exercer une influence sur sa décision ».

Cet arrêt met en lumière l’articulation entre les règles procédurales encadrant le sursis à statuer et le pouvoir souverain du juge d’en décider d’office. Il convient d’examiner le fondement du pouvoir discrétionnaire du juge en matière de sursis à statuer (I), avant d’analyser les conditions de mise en œuvre de ce sursis dans le contexte d’instances connexes (II).

I. Le fondement du pouvoir discrétionnaire du juge en matière de sursis à statuer

Le sursis à statuer constitue une exception de procédure dont le régime obéit à des règles précises (A). La cour d’appel affirme néanmoins l’existence d’un pouvoir propre du juge, distinct des conditions de recevabilité opposables aux parties (B).

A. La qualification d’exception de procédure et ses conséquences

Le sursis à statuer figure parmi les exceptions de procédure régies par les articles 73 et suivants du code de procédure civile. À ce titre, il doit en principe être soulevé in limine litis, avant toute défense au fond. Le tribunal de Grasse avait ainsi déclaré irrecevable la demande formée par la venderesse, faute pour celle-ci d’avoir respecté cette exigence. La cour d’appel, dans son arrêt du 12 mars 2025, a confirmé cette irrecevabilité.

Cette qualification emporte des conséquences procédurales rigoureuses. Devant le juge de la mise en état, l’exception doit être présentée avant tout débat sur le fond. La sanction de l’irrecevabilité prive la partie de la possibilité d’obtenir la suspension de l’instance par sa seule initiative. Le formalisme procédural protège ainsi la partie adverse contre des manœuvres dilatoires tardives.

B. L’affirmation d’un pouvoir propre du juge

La cour d’appel énonce que « le juge a toujours la possibilité, quand bien même les parties ne sont pas recevables à soulever cette exception de procédure, d’ordonner un sursis à statuer ». Cette formulation consacre l’autonomie du pouvoir du juge par rapport aux règles de recevabilité applicables aux parties. Le juge n’est pas tenu par l’irrecevabilité qu’il a lui-même prononcée à l’égard de la demande d’une partie.

Ce pouvoir trouve son fondement dans l’article 378 du code de procédure civile, qui dispose que « la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine ». Le juge dispose d’une faculté qui relève de son office. Cette prérogative s’inscrit dans sa mission de bonne administration de la justice. Elle lui permet d’éviter des décisions contradictoires ou de prévenir un jugement rendu sur des bases incertaines.

II. Les conditions de mise en œuvre du sursis dans le contexte d’instances connexes

L’exercice du pouvoir de surseoir suppose l’existence d’un lien entre les procédures (A). La cour précise les critères permettant d’apprécier l’influence de l’instance parallèle sur le litige pendant (B).

A. L’exigence d’un lien entre les procédures

La cour subordonne le sursis à statuer à la condition que « l’issue de la procédure dont il est saisi dépend d’une autre procédure en cours ou que celle-ci est susceptible d’exercer une influence sur sa décision ». Cette formulation alternative distingue deux situations. La première vise une dépendance au sens strict, lorsque la solution du litige est conditionnée par celle de l’autre instance. La seconde, plus souple, se contente d’une influence potentielle.

En l’espèce, deux procédures présentaient une connexité évidente. L’agence immobilière réclamait des dommages-intérêts en soutenant que la vente était parfaite après acceptation de l’offre. Or, la question de la validité de cette offre et celle de la perfection de la vente étaient précisément débattues devant une autre formation de la même cour. La réponse apportée à ces questions dans l’instance parallèle était susceptible de priver de fondement la demande indemnitaire de l’agence.

B. L’appréciation concrète de l’influence de l’instance parallèle

La cour relève que « la validité de l’offre d’achat, dont la société (…) excipe pour considérer d’une part que la vente est parfaite, d’autre part que (la venderesse) ne pouvait sans faute refuser de signer l’acte authentique, n’est pas tranchée ». Elle ajoute que « la réponse de la cour sur la nullité de l’offre d’achat ainsi que sur sa caducité sont susceptibles d’exercer une influence sur le bien fondé de la demande indemnitaire ».

Cette motivation illustre la méthode d’appréciation retenue par le juge. Il identifie les questions juridiques communes aux deux instances. Il évalue ensuite l’incidence que la réponse apportée dans l’une pourrait avoir sur l’autre. Le sursis ne constitue pas une mesure systématique. Il suppose une analyse concrète des points de droit en débat. La cour prend soin de préciser que la question de la perfection de la vente, également contestée dans l’instance parallèle, « est susceptible d’exercer une influence sur la décision de la cour dans le cadre du litige qui oppose (les parties) au titre de sa commission ». Cette double vérification témoigne d’un exercice mesuré du pouvoir de surseoir.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture