Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 20 juin 2025, n°23/09126

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 4-8b, a rendu le 20 juin 2025 un arrêt relatif au contentieux du recouvrement des cotisations sociales. Cette décision s’inscrit dans un litige opposant une société cotisante à l’organisme de recouvrement à la suite d’un contrôle portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018.

Les faits à l’origine du litige sont les suivants. L’organisme de recouvrement a procédé à un contrôle de l’application des législations de sécurité sociale au sein des différents établissements de la société. À l’issue de ce contrôle, une lettre d’observations datée du 7 octobre 2019 a été notifiée, comportant plusieurs chefs de redressement pour un montant total significatif en cotisations et majorations. Une mise en demeure du 21 janvier 2020 a ensuite été adressée à la société pour un montant de 84 686 euros.

La société a contesté cette mise en demeure devant la commission de recours amiable, puis, en l’absence de décision explicite, a saisi le pôle social du tribunal judiciaire le 17 août 2020. Le tribunal judiciaire de Toulon a rendu un jugement le 9 juin 2023 validant l’essentiel des redressements, à l’exception du chef de redressement relatif à l’avantage en nature véhicule. La société a interjeté appel de cette décision.

La question de droit principale soumise à la cour consistait à déterminer si les différents chefs de redressement notifiés par l’organisme de recouvrement étaient fondés, tant dans leur principe que dans leur quantum. Plus spécifiquement, il s’agissait d’apprécier la régularité de la procédure de contrôle et le bien-fondé des réintégrations dans l’assiette des cotisations sociales.

La cour d’appel a partiellement réformé le jugement. Elle a déclaré l’organisme de recouvrement irrecevable en ses demandes relatives à un établissement qui n’avait pas fait l’objet de la saisine initiale. Elle a validé le principe du redressement relatif à l’avantage en nature véhicule pour les seuls véhicules propriété de la cotisante, tout en l’annulant pour les véhicules en location. Elle a confirmé la validité des autres chefs de redressement contestés et annulé l’observation pour l’avenir relative à la retraite supplémentaire.

I. L’encadrement procédural du contrôle et du recouvrement

A. La délimitation stricte de la saisine juridictionnelle

La cour rappelle avec fermeté le principe selon lequel les juridictions ne peuvent statuer que sur les demandes dont elles sont régulièrement saisies. Elle relève que « les deux actes de saisine par lettres recommandées distinctes avec avis de réception, expédiées toutes deux le 17 août 2020, concernent exclusivement l’établissement du siège de la cotisante ». Cette analyse conduit à déclarer irrecevables les prétentions de l’organisme de recouvrement relatives à un autre établissement, en application de l’article 564 du code de procédure civile.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante prohibant les demandes nouvelles en cause d’appel. Elle présente un intérêt pratique considérable pour les cotisants confrontés à des contrôles portant sur plusieurs établissements. Elle impose à l’organisme de recouvrement une rigueur particulière dans la formulation de ses prétentions devant les juridictions.

La portée de cette décision doit toutefois être nuancée. La cour ne remet pas en cause le principe selon lequel un contrôle unique peut porter sur l’ensemble des établissements d’une entreprise. Elle sanctionne uniquement l’absence de saisine du juge de première instance sur les redressements afférents à un établissement déterminé. L’organisme de recouvrement conserve donc la faculté d’engager une action distincte pour recouvrer les sommes litigieuses.

B. L’absence d’obligation de communication du rapport de contrôle

La cour rejette la demande de communication du rapport de contrôle formulée par la société. Elle qualifie ce document de « document interne, destiné uniquement à informer » l’organisme de recouvrement. Elle ajoute que « les dispositions de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale n’imposent pas sa communication au cotisant contrôlé, lequel doit uniquement être destinataire de la lettre d’observations ».

Cette position s’explique par la distinction opérée entre les documents communicables au cotisant et ceux relevant du fonctionnement interne de l’organisme. La lettre d’observations reprend les constatations effectuées lors du contrôle et permet au cotisant d’exercer pleinement ses droits de la défense. Le rapport de contrôle n’apporte pas d’éléments supplémentaires susceptibles de modifier l’issue du litige.

La référence au code des relations entre le public et l’administration ne modifie pas cette analyse. Si les documents administratifs sont en principe communicables, cette communicabilité ne s’impose pas dans le cadre d’une instance juridictionnelle où seuls les éléments utiles à la solution du litige doivent être produits. La cour relève d’ailleurs que la société « n’explique pas en quoi la communication de ce document serait utile ou de nature à apporter des éléments utiles au présent litige ».

II. Le contrôle juridictionnel des chefs de redressement

A. La distinction entre véhicules achetés et véhicules en location

La cour procède à une analyse minutieuse du chef de redressement relatif à l’avantage en nature véhicule. Elle constate que l’inspecteur du recouvrement a appliqué les modalités de calcul afférentes aux véhicules achetés alors que plusieurs véhicules étaient en réalité en location. Elle en déduit que le redressement est « injustifié pour ces six mises à disposition de véhicules ».

L’arrêté du 10 décembre 2002 distingue en effet deux régimes d’évaluation de l’avantage en nature selon que le véhicule est acheté ou loué. Pour les véhicules en location avec prise en charge du carburant par l’employeur, l’évaluation forfaitaire s’effectue sur la base de 40 % du coût global annuel comprenant la location, l’entretien, l’assurance et le carburant. Pour les véhicules achetés, le pourcentage applicable est de 12 % ou 9 % du coût d’achat selon l’ancienneté du véhicule.

Cette décision rappelle l’importance de la qualification juridique des faits en matière de redressement. L’inspecteur du recouvrement ne peut appliquer indistinctement les mêmes règles à des situations juridiquement distinctes. Le juge exerce un contrôle approfondi sur cette qualification et en tire toutes les conséquences quant à la validité du redressement.

La solution retenue présente également un intérêt en ce qu’elle valide partiellement le redressement pour les véhicules effectivement propriété de la société. La cour ordonne à l’organisme de recouvrement de procéder à un nouveau calcul limité à ces seuls véhicules, démontrant ainsi sa volonté de circonscrire précisément l’assiette des cotisations dues.

B. L’articulation entre observations antérieures et majorations pour absence de mise en conformité

La cour adopte une position nuancée concernant les majorations pour absence de mise en conformité prévues par l’article L.243-7-6 du code de la sécurité sociale. Ces majorations supposent que le cotisant n’ait pas pris en compte les observations notifiées lors d’un précédent contrôle.

Pour les jetons de présence, la cour valide les majorations en relevant qu’un arrêt antérieur du 9 octobre 2020 avait déjà jugé que ces sommes devaient être soumises à cotisations. Elle considère que la société ne pouvait ignorer cette exigence et que son maintien dans la pratique antérieure caractérise l’absence de mise en conformité.

En revanche, pour les primes de transport et les indemnités de repas, la cour refuse l’application des majorations. Elle relève que l’arrêt du 9 octobre 2020 avait annulé l’observation pour l’avenir relative aux primes de transport « sauf à préciser que la société est tenue de produire les justificatifs ». La société ayant fourni un tableau récapitulatif lors du contrôle, elle a respecté cette réserve. De même, pour les indemnités de repas, l’annulation du chef de redressement lors du précédent contrôle fait obstacle aux majorations.

Cette analyse révèle l’importance de l’autorité de chose jugée des décisions antérieures. Le cotisant qui se conforme aux prescriptions d’une décision de justice ne peut se voir reprocher une absence de mise en conformité au seul motif que l’organisme de recouvrement aurait souhaité une interprétation différente. La cour assure ainsi la sécurité juridique des relations entre cotisants et organismes de recouvrement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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