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La jurisprudence relative à la preuve de l’exécution déloyale du contrat de travail témoigne d’une exigence probatoire dont les contours demeurent parfois incertains. L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 25 août 2025 illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient les éléments soumis par le salarié invoquant un manquement de l’employeur à son obligation de bonne foi.
Une salariée avait été embauchée le 16 juin 2014 en qualité de serveuse par une société exploitant un restaurant. Son contrat de travail avait été transféré à une autre société en juin 2018. Le 19 juillet 2018, elle avait été placée en arrêt maladie pour stress professionnel et avait déposé plainte à l’encontre d’un cuisinier de l’établissement. Elle soutenait avoir fait l’objet d’un licenciement verbal le 18 juillet 2018 et reprochait à son employeur une exécution déloyale du contrat de travail.
Le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence, par jugement du 12 octobre 2021, avait dit la rupture du contrat de travail imputable à l’employeur et l’avait condamné à verser à la salariée diverses sommes dont dix mille euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. L’employeur avait interjeté appel.
Devant la cour, l’employeur soutenait que la salariée ne rapportait pas la preuve des faits allégués et que le conseil de prud’hommes avait en réalité sanctionné un licenciement verbal en contournant les dispositions relatives au barème d’indemnisation. La salariée faisait valoir qu’elle avait subi une altercation, que l’absence d’envoi des documents de fin de contrat l’empêchait de retrouver un emploi et que cette situation justifiait l’allocation de dommages-intérêts.
La question posée à la cour était de déterminer si la salariée rapportait la preuve d’une exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur de nature à justifier l’allocation de dommages-intérêts.
La cour d’appel infirme le jugement en ce qu’il avait alloué des dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et déboute la salariée de cette demande. Elle retient que si la réalité d’une altercation est établie, la salariée ne démontre pas avoir subi des violences ou des faits de harcèlement pour lesquels l’employeur ne serait pas intervenu.
I. La charge de la preuve pesant sur le salarié invoquant l’exécution déloyale
A. Le rappel du principe probatoire applicable
La cour d’appel rappelle le principe selon lequel il appartient au salarié qui se prévaut d’une exécution fautive du contrat de travail d’en rapporter la preuve. Cette règle découle de l’article 1353 du code civil qui impose à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver. En matière d’exécution loyale du contrat de travail, le salarié doit établir les manquements qu’il impute à l’employeur. La cour relève que « l’intimée ne démontre pas pour autant avoir subi violences ou des faits de harcèlement pour lesquels l’employeur ne serait pas intervenu manquant ainsi à son obligation de sécurité ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui impose au salarié de prouver les faits constitutifs de la déloyauté alléguée. L’obligation de bonne foi prévue par l’article L. 1222-1 du code du travail pèse sur les deux parties au contrat. Le salarié qui entend en tirer des conséquences indemnitaires doit néanmoins caractériser les manquements de l’employeur de manière suffisamment précise et étayée.
B. L’insuffisance des éléments de preuve produits
La cour procède à une analyse minutieuse des pièces versées aux débats. Elle constate que le certificat médical du 19 juillet 2018 « mentionne un stress et un syndrome anxieux mais ne fait état d’aucune plainte ni d’aucune trace en rapport avec des violences ni ne mentionne l’existence d’un lien de causalité entre le stress constaté et la dénonciation d’un harcèlement moral ». La cour ajoute qu’« aucun justificatif de suivi médical ultérieur n’est produit aux débats pour justifier la dépression alléguée ».
Cette appréciation témoigne de l’exigence des juridictions en matière de preuve médicale. Un certificat attestant d’un état de stress ne suffit pas à établir un lien avec un comportement fautif de l’employeur. Le salarié doit produire des éléments démontrant non seulement l’existence d’un préjudice mais également son imputation aux manquements allégués. La cour relève également que la salariée « ne démontre pas plus que l’altercation s’est déroulée devant des clients, ni que l’attitude de l’employeur a eu un caractère vexatoire ».
II. Le rejet des griefs relatifs aux obligations de l’employeur
A. L’absence de caractérisation d’un manquement à l’obligation de sécurité
La cour examine si l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne protégeant pas la salariée contre des violences ou un harcèlement. Elle constate que la seule plainte déposée par la salariée est insuffisante à établir la matérialité des faits de violence invoqués. L’existence d’une altercation, établie par un constat d’huissier reproduisant un message vocal, ne suffit pas à caractériser un manquement de l’employeur.
L’obligation de sécurité de l’employeur, issue de l’article L. 4121-1 du code du travail, impose à ce dernier de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. La jurisprudence a progressivement admis que cette obligation n’est plus de résultat mais de moyens renforcée. L’employeur peut s’exonérer en démontrant avoir pris les mesures appropriées. En l’espèce, la cour ne retient aucun manquement faute pour la salariée d’avoir établi les faits fondant son grief.
B. L’absence de preuve des autres manquements invoqués
La cour rejette les autres arguments de la salariée. Elle relève que celle-ci « ne produit pas la décision justifiant de ce qu’elle a dû agir en référé pour obtenir le paiement de sommes dues par l’employeur ». Elle constate que les bulletins de salaire mentionnent le paiement d’un complément de salaire pendant la période d’arrêt maladie. La salariée ne justifie pas davantage du « refus de l’employeur d’organiser une visite de reprise ou postérieurement à ladite visite de son refus de la réintégrer sur son poste ».
Cette motivation illustre l’exigence de cohérence probatoire attendue des parties. Le salarié qui invoque plusieurs griefs doit les étayer de manière distincte. L’absence de production de la décision de référé prive la cour de la possibilité de vérifier la réalité du manquement allégué. La charge de la preuve impose au salarié de verser aux débats les pièces justifiant ses prétentions et non de se contenter d’affirmations.
La solution retenue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’inscrit dans une conception rigoureuse de l’office du juge. La cour refuse d’allouer des dommages-intérêts en l’absence de preuve suffisante des manquements invoqués. Cette décision rappelle que l’obligation de bonne foi, bien que pesant sur l’employeur, ne dispense pas le salarié d’établir les faits qu’il allègue. Elle confirme la distinction entre l’existence d’un fait, en l’occurrence une altercation, et la caractérisation d’un manquement contractuel imputable à l’employeur.