Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 25 août 2025, n°21/15592

Par un arrêt en date du 25 août 2025, la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée sur la qualification d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail intervenue dans un contexte singulier mêlant crise sanitaire et séparation conjugale entre une salariée et le dirigeant de son employeur.

Une salariée avait été embauchée le 4 décembre 2017 en qualité de responsable par une entreprise d’insertion, son conjoint en étant le gérant. Un avenant du 26 mars 2018 l’avait promue responsable d’exploitation avec une revalorisation salariale progressive portant sa rémunération à 3 500 euros bruts mensuels en janvier 2020. À compter de mars 2020, elle fut placée en activité partielle en raison de l’épidémie de Covid-19. Le 19 mai 2020, elle prit acte de la rupture de son contrat en reprochant à l’employeur de lui avoir interdit l’accès à ses fonctions et désactivé sa messagerie professionnelle.

La salariée saisit le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence afin d’obtenir la requalification de sa prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle invoquait également le travail dissimulé pour avoir travaillé durant la période d’activité partielle sans déclaration des heures accomplies. Par jugement du 30 mars 2021, le conseil de prud’hommes jugea que la prise d’acte produisait les effets d’une démission et débouta la salariée de l’essentiel de ses demandes, la condamnant toutefois à restituer le téléphone de l’entreprise. L’employeur forma un appel incident sur la condamnation au paiement d’un acompte et sur les frais irrépétibles.

La salariée soutenait devant la cour que l’employeur s’était rendu coupable de travail dissimulé en ne déclarant pas les heures effectuées pendant le confinement, et qu’il lui avait retiré ses attributions ainsi que l’accès à ses outils de travail, manquant à son obligation de fournir du travail. L’employeur contestait toute intention frauduleuse et faisait valoir que la salariée, disposant d’une autonomie totale dans la transmission des éléments de paie, n’avait elle-même déclaré aucune heure travaillée.

La question posée à la cour était de savoir si les manquements reprochés à l’employeur présentaient une gravité suffisante pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et si le travail dissimulé était caractérisé.

La cour d’appel confirma que la prise d’acte produisait les effets d’une démission. Elle rejeta la demande au titre du travail dissimulé faute de preuve d’une intention de l’employeur de dissimuler les heures travaillées, et écarta les griefs relatifs à l’interdiction de travailler et à la suppression de la messagerie.

I. L’échec de la qualification de travail dissimulé pendant l’activité partielle

A. L’exigence d’un élément intentionnel dans la caractérisation du travail dissimulé

La cour rappelle que constitue une dissimulation d’emploi salarié le fait de ne pas mentionner sur le bulletin de paie les heures de travail effectivement accomplies. Le travail dissimulé suppose la réunion de deux éléments : l’accomplissement d’un travail non déclaré et l’intention de l’employeur de procéder à cette dissimulation.

En l’espèce, la salariée établissait avoir maintenu une activité pendant la période d’activité partielle comme en attestaient les échanges de courriels produits aux débats. La cour relève que « les échanges de mails produits par l’appelante établissent sans conteste que nonobstant les déclarations susvisées adressées à la direction RH elle a maintenu une activité au profit des clients comme des salariés placés sous ses ordres ».

La preuve de l’élément matériel de l’infraction semblait donc rapportée. La salariée avait effectivement travaillé alors qu’elle était déclarée en chômage partiel, situation constitutive d’une fraude aux dispositifs d’aide publique mis en place pendant la crise sanitaire.

B. La charge de la preuve de l’intention frauduleuse pesant sur le salarié

La cour écarte néanmoins la qualification de travail dissimulé en raison de l’absence de démonstration de l’élément intentionnel. Elle retient qu’« aucune pièce ne vient en revanche établir que M. [K] en sa qualité de Gérant de SILOE a eu connaissance de ce que cette activité n’a pas été signalée au service RH pour l’établissement de la paie ou donné des instructions en ce sens ».

Le contexte organisationnel de l’entreprise revêtait ici une importance déterminante. La salariée occupait les fonctions de responsable d’exploitation et était elle-même chargée de transmettre les éléments de paie au service des ressources humaines. Le procès-verbal du comité social et économique du 16 mars 2020 précisait que « les responsables d’unité qui le peuvent seront en télétravail et devront comptabiliser les heures de travail réellement travaillées afin d’en informer le service RH chaque fin de mois ».

Or la salariée avait transmis des tableaux récapitulatifs pour mars et avril 2020 dans lesquels elle « n’a déclaré aucune heure de travail effectivement réalisée ». L’employeur pouvait donc légitimement ignorer l’existence d’heures travaillées que la salariée elle-même n’avait pas portées à sa connaissance. Cette circonstance particulière, liée à l’autonomie dont jouissait la salariée dans la gestion administrative de son temps de travail, neutralisait la caractérisation de l’intention frauduleuse.

II. L’appréciation stricte des manquements justifiant une prise d’acte

A. Le contrôle de la matérialité des griefs invoqués par le salarié

La prise d’acte constitue un mode de rupture par lequel le salarié met fin au contrat en imputant des manquements à l’employeur. La cour rappelle le principe selon lequel « il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur » et précise que ce mode de rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse uniquement si les manquements présentent « une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail ».

La salariée invoquait deux griefs principaux. Elle soutenait d’abord que l’employeur lui avait supprimé l’accès à sa messagerie professionnelle à compter du 18 mai 2020. La cour constate toutefois que la pièce 29, constituée d’un échange de courriels du 26 mai 2020 « à partir de la boite mail de l’appelante au sein de l’entreprise », démontre qu’elle avait conservé cet accès postérieurement à la date alléguée. Le grief était donc « infondé ».

La salariée reprochait ensuite à l’employeur de lui avoir interdit de travailler et d’avoir transféré certains clients à une autre employée. La cour analyse le courriel du 5 mai 2020 et juge qu’il « se borne à évoquer l’absence de reprise de l’activité de l’entreprise, le chômage partiel qui prévaut toujours et le calcul des heures accomplies en fin de mois ». Elle n’y décèle aucune intention de rompre le contrat ni de retirer ses fonctions à la salariée.

B. La distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail

S’agissant de la réattribution de certains clients à une autre salariée, la cour opère une distinction classique entre modification du contrat de travail et simple changement des conditions de travail. Elle retient que « la reprise de la relation client avec PSA ET GEFCO par une autre employée ne s’analyse pas, en l’absence de démonstration de la suppression de toute relation avec la clientèle, comme un changement du contrat de travail mais comme une modification des conditions de travail qui relève du pouvoir de direction de l’employeur ».

Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures. La modification du contrat de travail requiert l’accord du salarié et son refus ne peut lui être reproché. À l’inverse, le changement des conditions de travail s’impose au salarié en vertu du lien de subordination. Le refus d’un tel changement peut constituer une faute.

En l’espèce, la redistribution partielle du portefeuille clients relevait du pouvoir de direction de l’employeur dès lors qu’elle n’affectait pas les éléments essentiels du contrat. La salariée conservait ses fonctions de responsable d’exploitation et sa rémunération demeurait inchangée. Le grief ne présentait donc pas la gravité suffisante pour justifier une prise d’acte aux torts de l’employeur.

La cour en conclut que « la prise d’acte de la rupture du contrat de travail s’analyse comme une démission », confirmant ainsi le jugement de première instance. La salariée perdait le bénéfice des indemnités de rupture et se trouvait condamnée aux dépens ainsi qu’à une indemnité au titre des frais irrépétibles, la cour relevant qu’« elle ne produit aucun justificatif actualisé de sa situation financière » pour s’opposer à cette condamnation malgré le bénéfice initial de l’aide juridictionnelle.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture