Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, n°25/01442

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 1-2, par un arrêt du 3 juillet 2025, s’est prononcée sur la caducité d’une déclaration d’appel résultant de l’absence de transmission des conclusions au greffe dans le délai prescrit.

Un bailleur avait obtenu du juge des référés du tribunal de proximité d’Aix-en-Provence, le 18 juillet 2024, une ordonnance constatant l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail et condamnant solidairement les preneurs au paiement d’un arriéré locatif. Les locataires ont interjeté appel le 14 août 2024. L’affaire a été fixée selon la procédure à bref délai de l’article 905 du code de procédure civile. Le dernier jour du délai d’un mois pour conclure, soit le 9 octobre 2024 à 19 heures 57, le conseil des appelants a adressé au greffe un message intitulé « conclusions et communications de pièces », lequel s’est révélé dépourvu de toute pièce jointe. L’accusé de réception du greffe, transmis une minute plus tard, mentionnait expressément « sans pièce jointe ». Ce n’est que le lendemain, après signalement de la difficulté par le greffe, que les conclusions ont été effectivement transmises à 9 heures 45.

Par ordonnance du 23 janvier 2025, la conseillère déléguée a déclaré caduque la déclaration d’appel sur le fondement de l’article 905-2 du code de procédure civile. Les appelants ont formé un déféré, invoquant l’application de l’article 748-7 du même code ainsi qu’une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge.

La cour d’appel était ainsi interrogée sur le point de savoir si l’oubli par un avocat de joindre ses conclusions à un message électronique adressé au greffe constitue une cause étrangère permettant la prorogation du délai au premier jour ouvrable suivant.

La cour confirme l’ordonnance de caducité. Elle retient que la transmission tardive des conclusions procède d’une erreur du conseil, comme celui-ci l’a lui-même expressément reconnu dans son message du 10 octobre 2024, et non d’une cause étrangère au sens de l’article 748-7. Elle écarte l’argument tiré de la disproportion de la sanction au regard du droit d’accès au juge.

L’intérêt de cette décision réside dans la rigueur avec laquelle elle distingue l’erreur humaine de la cause étrangère justifiant une prorogation de délai (I), tout en réaffirmant l’objectivité de la sanction de caducité indépendamment de toute considération subjective (II).

I. La distinction rigoureuse entre erreur de l’avocat et cause étrangère

La cour opère une qualification précise de la défaillance technique alléguée (A), avant d’exclure fermement l’application du mécanisme de prorogation prévu par l’article 748-7 (B).

A. La qualification de l’incident technique comme erreur imputable à l’avocat

La cour d’appel procède à un examen minutieux des circonstances de la transmission litigieuse. Elle relève que le conseil des appelants a lui-même reconnu sa défaillance dans un message adressé au greffe le 10 octobre 2024, indiquant : « Le greffe vient de m’alerter sur l’absence de pièce jointe avec mon message d’envoi d’hier !!! Je suis confuse de cet oubli et espère que cela n’emportera aucune conséquence. »

Face à cette reconnaissance spontanée, la cour souligne qu’« il est dès lors quelque peu étonnant de lire en page six des conclusions de Maître Boisrame qu’elle a démontré avoir réalisé toutes les tâches nécessaires à l’envoi du document et que la pièce a bien été jointe par l’auteur de l’acte mais n’est jamais arrivée à la cour ». Cette observation révèle la contradiction entre l’argumentation contentieuse et les déclarations contemporaines de l’incident.

La cour retient que tous les éléments versés au dossier et enregistrés dans le système informatique de la juridiction établissent que la défaillance procède d’un oubli du conseil. L’accusé de réception du greffe mentionnant « sans pièce jointe » corrobore cette analyse. La qualification d’erreur imputable à l’avocat s’impose donc de manière univoque.

B. Le rejet de l’application de l’article 748-7 du code de procédure civile

L’article 748-7 du code de procédure civile prévoit une prorogation du délai au premier jour ouvrable suivant lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique le dernier jour du délai « pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit ». La cour interprète strictement cette notion de cause étrangère.

Elle juge qu’« il s’induit en effet de tous les éléments versés au dossier […] que la transmission tardive des conclusions des appelants au greffe procède d’une erreur de leur conseil, comme expressément indiqué par ce dernier, et non d’une ’cause étrangère’, c’est-à-dire extérieure à sa personne ». L’erreur humaine, fût-elle commise de bonne foi, ne saurait constituer une circonstance extérieure justifiant la prorogation du délai.

Cette interprétation s’inscrit dans une jurisprudence constante distinguant les défaillances techniques imputables au système informatique de celles résultant d’une manipulation erronée par l’utilisateur. Seules les premières peuvent caractériser une cause étrangère au sens du texte.

II. L’objectivité de la sanction de caducité face aux considérations subjectives

La cour réaffirme le caractère automatique de la caducité indépendamment de tout grief (A), puis écarte les arguments tirés d’une prétendue atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge (B).

A. L’indifférence de la bonne foi à l’égard de la sanction encourue

La cour rappelle que « la caducité de la déclaration d’appel s’analyse comme une sanction sui generis qui, à la différence de la nullité, est indépendante de toute notion de grief ». Cette qualification emporte des conséquences majeures quant à l’appréciation de la sanction.

Elle en déduit que « la bonne foi du conseil des appelants, tout comme le fait que les conclusions ont été notifiées, dans le délai de l’article 905-2, à celui de la SCI Jal sont indifférents au présent débat ». Le texte vise exclusivement la remise des écritures au greffe, non leur notification au contradicteur. La circonstance que l’intimé ait eu connaissance des conclusions dans le délai imparti demeure sans incidence sur l’acquisition de la caducité.

Cette approche traduit la distinction entre les fonctions respectives de la notification aux parties et de la remise au greffe. La première assure le contradictoire ; la seconde permet à la juridiction d’organiser l’instruction de l’affaire. L’accomplissement de l’une ne dispense pas de l’autre.

B. Le rejet de l’atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge

Les appelants invoquaient une violation de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour écarte cet argument en se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « la caducité de la déclaration d’appel participe d’un ensemble de règles fixées par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et poursuivant un but légitime au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel que la célérité de la procédure et une bonne administration de la justice ».

Elle ajoute que ces règles « sont parfaitement accessibles, prévisibles et maîtrisables par un professionnel du droit dans le cadre d’une procédure avec représentation obligatoire ». La prévisibilité de la sanction exclut tout caractère disproportionné.

La cour refuse enfin d’écarter discrétionnairement la règle au nom d’un principe de proportionnalité. Elle observe que « sauf à basculer dans l’arbitraire et la partialité, la cour ne peut l’écarter discrétionnairement ». La caducité ayant été soulevée par l’intimé et non relevée d’office, ne pas la constater reviendrait à prendre parti pour les appelants en l’absence de tout fondement juridique.

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Hassan KOHEN
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