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La maltraitance institutionnelle de la petite enfance constitue l’une des formes les plus graves de manquement professionnel dans le secteur médico-social. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 4 juillet 2025, apporte une illustration significative du régime probatoire applicable aux comportements fautifs commis au sein des structures d’accueil collectif.
Une auxiliaire de vie avait été recrutée par une association gestionnaire de crèches à compter du 26 août 2013 dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée, avant d’être embauchée à durée indéterminée le 1er décembre 2014. Le 3 février 2020, elle fit l’objet d’un avertissement pour avoir manqué de vigilance à l’égard d’un enfant blessé. Le 14 février 2020, elle fut convoquée à un entretien préalable à licenciement et mise à pied à titre conservatoire. Par courrier du 27 février 2020, son employeur lui notifia son licenciement pour faute grave, lui reprochant d’avoir bousculé un enfant en lui tenant des propos violents, d’avoir allongé brutalement un autre enfant sur le plan de change en lui cognant la tête contre le mur, d’avoir tenu des propos insultants envers les enfants et d’avoir adopté une attitude déplacée à l’égard des parents.
La salariée saisit le conseil de prud’hommes de Marseille aux fins d’obtenir l’annulation de l’avertissement du 3 février 2020 et la contestation du licenciement. Par jugement du 7 février 2022, la juridiction prud’homale la débouta de l’ensemble de ses demandes. Elle interjeta appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelante soutenait n’avoir commis aucune faute justifiant l’avertissement, celui-ci n’étant destiné qu’à légitimer la procédure de licenciement ultérieure. Elle contestait formellement les griefs reprochés et critiquait les pièces produites par l’employeur, arguant de l’impossibilité matérielle pour les témoins d’avoir constaté les faits rapportés. Elle reprochait également à l’employeur d’avoir mentionné dans la lettre de licenciement une mise à pied disciplinaire du 19 janvier 2016, sanction prescrite car antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites.
La cour devait déterminer si les témoignages produits par l’employeur suffisaient à établir la matérialité des faits reprochés et si ces faits caractérisaient une faute grave justifiant le licenciement sans préavis ni indemnité.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle retint que l’avertissement était justifié, la salariée n’ayant pas identifié les pleurs de douleur d’un enfant blessé et n’ayant eu aucun geste de consolation à son égard. Elle considéra que les attestations produites, notamment celle d’une collègue ayant constaté les faits sur trois jours, étaient « particulièrement précis[es] et circonstancié[es] » et n’étaient contredites par aucun élément. Elle qualifia ces faits réitérés de « graves manquements professionnels constitutifs de la faute grave ».
La présente décision illustre avec précision l’articulation entre les exigences probatoires incombant à l’employeur et la qualification de la faute grave en matière de maltraitance institutionnelle. La cour consacre d’une part la recevabilité des témoignages concordants comme mode de preuve autonome (I), avant de caractériser la faute grave par la mise en danger réitérée de personnes vulnérables (II).
I. La recevabilité du témoignage concordant comme mode de preuve de la maltraitance institutionnelle
La cour d’appel procède à une analyse minutieuse de la valeur probante des attestations produites par l’employeur (A), tout en réaffirmant les conditions de validité de la sanction disciplinaire préalable (B).
A. L’appréciation souveraine de la force probante des témoignages circonstanciés
La salariée contestait la matérialité des faits en arguant de l’impossibilité pour les témoins de les avoir constatés, ceux-ci n’étant pas affectés dans la même section qu’elle. La cour écarte cette objection par une motivation particulièrement ferme.
Elle relève que l’attestation principale a été « rédigé[e] le 13 février 2020, soit à l’issue des trois jours durant lesquels [la témoin] dit avoir personnellement constaté à plusieurs reprises des comportements et propos particulièrement inadaptés ». Cette proximité temporelle « explique la précision des horaires rapportés ». La cour souligne que « si elle n’était pas affectée sur le groupe des trotteurs, elle décrit précisément s’être déplacée dans les locaux qui sont petits et qui se jouxtent ».
La juridiction aixoise qualifie ce témoignage de « particulièrement précis et circonstancié quant au comportement physiquement et verbalement violent » de la salariée. Elle observe qu’il « n’est contredit par aucun élément produit par la salariée qui se borne à affirmer sans le démontrer qu’il est matériellement impossible » que la témoin ait pu constater les faits.
Cette motivation révèle l’application du principe selon lequel le juge apprécie souverainement la force probante des éléments qui lui sont soumis. La cour opère un renversement de la charge de la preuve en matière de contestation des témoignages. Il ne suffit pas au salarié d’affirmer l’impossibilité matérielle des observations rapportées. Il lui incombe de démontrer positivement cette impossibilité.
La concordance des témoignages joue un rôle déterminant dans le raisonnement de la cour. Elle note que « le témoignage de Mme [H] est concordant quant à l’attitude adoptée par Mme [E] à l’égard des parents ». Cette seconde attestation corrobore le premier témoignage sur un aspect distinct des faits reprochés, renforçant ainsi la crédibilité de l’ensemble du dispositif probatoire.
B. La confirmation de la sanction disciplinaire préparatoire au licenciement
L’avertissement du 3 février 2020 faisait l’objet d’une demande d’annulation distincte. La salariée soutenait qu’il s’agissait d’une sanction « disproportionnée et artificielle » destinée uniquement à « légitimer la procédure de licenciement immédiatement postérieure ».
La cour rappelle le cadre juridique applicable en citant l’article L. 1331-1 du code du travail. Elle précise que « le comportement fautif du salarié doit se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire » et que « la sanction est proportionnelle à la faute commise ».
L’analyse des faits révèle que la salariée, face à un enfant en pleurs après s’être blessé au pouce, « n’a pas identifié que les pleurs de l’enfant, qualifiés par sa collègue de travail et par l’étudiante Aide Educatrice présentes de hurlements puis de pleurs persistants et différents de son habitude étaient des pleurs de douleur ». Elle « ne s’est à aucun moment approchée de l’enfant pour vérifier ce qu’il en était et n’a eu à son égard aucun geste de consolation ».
La cour conclut que ce comportement « caractérise un comportement fautif » au regard des obligations professionnelles de l’intéressée. Elle relève que celle-ci avait « été formée aux gestes d’urgence notamment le 6 décembre 2018 » et que sa fiche de poste lui imposait d’être « attentive et à l’écoute de l’enfant ».
Cette validation de l’avertissement préalable au licenciement n’est pas anodine. Elle établit un antécédent disciplinaire récent qui sera pris en compte dans l’appréciation de la réitération des comportements fautifs.
II. La caractérisation de la faute grave par la mise en danger réitérée de personnes vulnérables
La cour qualifie les faits reprochés de faute grave en raison de leur gravité intrinsèque (A), tout en écartant le moyen tiré de la prescription d’une sanction antérieure (B).
A. La qualification de faute grave fondée sur la violation des obligations essentielles de protection
La cour rappelle la définition de la faute grave comme celle « qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant d’un contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant le temps du préavis ».
Les faits établis sont d’une particulière gravité. La salariée a « provoqué la chute d’un enfant » en lui disant « Dégage je ne peux plus te supporter, dégage ». Elle a « allongé brutalement » un autre enfant « sur le plan de change » en lui « cogn[ant] la tête contre le mur », répondant à une collègue qui le lui faisait remarquer « ça va elle n’est pas en sucre ». Elle a tenu des propos qualifiant un enfant de « moche » à plusieurs reprises. Elle a « enlevé violemment » un enfant d’un vélo en « lui hurlant dessus » devant un parent « choqué ».
La cour souligne que ces faits constituent « une mise en danger de la santé de très jeunes enfants ». Elle insiste sur la qualité professionnelle de l’intéressée, « auxiliaire puéricultrice en charge de leur santé, de leur sécurité et de leur bien-être affectif au sein d’une crèche ».
La motivation de la cour met en exergue le contexte professionnel aggravant. La lettre de licenciement rappelait que les enfants accueillis avaient des « âges [variant] entre 4 mois et 38 mois ». L’arrêt qualifie ce public de « très jeunes enfants », insistant sur leur particulière vulnérabilité.
La réitération des comportements fautifs renforce la qualification retenue. La cour observe que « à la date des faits, Mme [E] avait déjà été sanctionnée à deux reprises par deux avertissement les 9 janvier 2019 et 3 février 2020 pour des faits mettant en évidence son insuffisante prise en compte des besoins, notamment de sécurité, des enfants dont elle s’occupait ».
B. Le rejet du moyen tiré de la prescription triennale des sanctions disciplinaires
L’appelante reprochait à l’employeur d’avoir mentionné dans la lettre de licenciement une mise à pied disciplinaire du 19 janvier 2016, antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites. Elle sollicitait des dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 1332-5 du code du travail.
La cour reconnaît la violation formelle de ce texte. Elle admet « que par application des dispositions de l’article L. 1332-5 du code du travail, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée par l’employeur à l’appui d’une nouvelle sanction ». Elle constate que l’employeur « ne pouvait ainsi mentionner dans la lettre de licenciement la mise à pied disciplinaire du 19 janvier 2016 ».
La cour refuse toutefois d’en tirer des conséquences indemnitaires. Elle relève que la salariée « ne démontre pas le préjudice qu’elle a subi résultant de la mention incriminée ». Elle justifie cette solution par le fait que « les faits fautifs établis par l’employeur en février 2020 caractérisent à eux seuls la faute grave qui lui est reprochée, leur réitération résultant de sanctions antérieures de moins de trois ans aux faits retenus ».
Cette motivation distingue deux questions. La violation de l’article L. 1332-5 est caractérisée par la seule mention d’une sanction prescrite. L’allocation de dommages-intérêts suppose en revanche la démonstration d’un préjudice distinct. La cour opère une appréciation in concreto de l’incidence de la mention litigieuse sur la qualification de la faute. Les avertissements des 9 janvier 2019 et 3 février 2020 suffisaient à établir le caractère réitéré des manquements. La mention superfétatoire de la sanction de 2016 n’a pas modifié l’appréciation de la gravité des faits.
Cette solution s’inscrit dans une conception restrictive du préjudice découlant de la violation des règles de procédure disciplinaire. Le salarié ne peut se prévaloir d’une irrégularité formelle pour obtenir réparation s’il ne démontre pas que cette irrégularité a effectivement influé sur la décision de l’employeur ou lui a causé un préjudice autonome.