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Par un arrêt du 5 août 2025, la cour d’appel de Besançon, première chambre civile et commerciale, a statué sur un litige opposant un contribuable français à la direction régionale des finances publiques. L’affaire portait sur la régularité d’une procédure de taxation d’office fondée sur un compte bancaire détenu en Suisse et non déclaré à l’administration fiscale.
Les faits de l’espèce révèlent qu’un contribuable domicilié en France a fait l’objet d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle pour les années 2014 à 2016. Les services fiscaux, alertés par leurs homologues allemands, ont découvert l’existence d’un compte bancaire ouvert dans un établissement suisse présentant un solde créditeur de 209 824 euros au mois d’août 2009. Face à l’absence de justification satisfaisante sur l’origine des fonds, l’administration a notifié un redressement de 108 575 euros sur le fondement de l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales. Un avis de mise en recouvrement a été émis le 28 septembre 2018, suivi d’une décision de rejet de la demande de dégrèvement le 4 avril 2022.
Par acte du 20 juillet 2022, le contribuable a assigné le directeur régional des finances publiques aux fins d’obtenir la décharge des impositions supplémentaires. Le tribunal judiciaire de Besançon, par jugement du 4 juin 2024, l’a débouté de l’intégralité de ses demandes. Le contribuable a interjeté appel le 16 juillet 2024, invoquant principalement la contrariété du dispositif fiscal français au principe de libre circulation des capitaux et l’irrégularité de la procédure mise en œuvre.
La question posée à la cour d’appel de Besançon était de savoir si le dispositif des articles L. 23 C du livre des procédures fiscales et 755 du code général des impôts, en ce qu’il permet la taxation d’avoirs détenus à l’étranger sur une période décennale, méconnaît le principe de sécurité juridique et la libre circulation des capitaux garantis par le droit de l’Union européenne.
La cour d’appel de Besançon a confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions. Elle a retenu que « les règles de procédure fiscale applicables en la matière ne privaient aucunement le contribuable du droit d’invoquer la prescription » dès lors que l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales prévoit expressément un délai décennal. Elle a également jugé la procédure régulière et rejeté la demande de réduction de moitié de l’imposition fondée sur la co-titularité du compte.
L’examen de la conformité du dispositif fiscal au droit de l’Union européenne constitue l’apport principal de cet arrêt (I). La cour précise également les conditions de mise en œuvre de la procédure et le régime probatoire applicable en matière de co-titularité de compte (II).
I. La conformité du délai décennal de reprise au principe de sécurité juridique
L’appelant invoquait l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 janvier 2022 relatif au dispositif fiscal espagnol (A). La cour d’appel de Besançon écarte cette jurisprudence en relevant la spécificité du régime français (B).
A. L’invocation de la jurisprudence européenne relative à l’imprescriptibilité
Le contribuable fondait son argumentation sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 janvier 2022. Cette décision avait censuré le dispositif fiscal espagnol d’imposition des avoirs détenus à l’étranger. La cour européenne avait jugé que ce dispositif « méconnaît cette liberté, notamment en prévoyant que l’inexécution ou le respect imparfait et tardif de l’obligation d’information relative aux biens et aux droits situés à l’étranger, entraîne l’imposition de revenus non déclarés correspondant à la valeur de ces avoirs en tant que gains patrimoniaux non justifiés, sans possibilité, en pratique, de bénéficier de la prescription ».
L’appelant se prévalait également d’un arrêt du Conseil d’État du 23 juin 2014 rendu en matière de fiscalité polynésienne. Cette juridiction avait confirmé qu’un dispositif de reprise dépourvu de tout délai de prescription méconnaissait le principe général du droit afférent à l’impératif de sécurité juridique. L’argumentaire du contribuable consistait donc à soutenir que le dispositif français produisait un « effet d’imprescriptibilité contraire à l’impératif de sécurité juridique ».
La cour d’appel de Besançon qualifie précisément le moyen soulevé. Elle relève qu’il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription mais d’une contestation de la base légale de la poursuite. Le contribuable reprochait au corpus légal de le priver du droit d’invoquer un moyen exonératoire tel celui tiré de la prescription de l’action.
B. La distinction opérée avec le régime français expressément délimité
La cour écarte l’application de la jurisprudence européenne en relevant que le dispositif français diffère fondamentalement du régime espagnol. Elle souligne qu’« à la lettre du texte, il est expressément prévu que l’action de l’administration est enfermée dans un délai de 10 ans ». L’article L. 23 C du livre des procédures fiscales et l’article L. 181-O A du même code prévoient uniformément que l’initiative de l’administration fiscale ne peut excéder une période de dix ans.
La cour précise que « la rétroactivité de la taxation ne peut excéder une période de 10 ans mettant ainsi le contribuable à l’abri de tout redressement portant sur des valeurs détenues avant le point de départ rétroactivement fixé de ce délai ». En l’espèce, la procédure ayant été mise en œuvre le 5 juillet 2017, les services fiscaux ne pouvaient remonter au-delà du 5 juillet 2007 pour recomposer la base taxable.
La cour pousse néanmoins le raisonnement plus loin. Elle envisage l’hypothèse où « sous les apparences de la régularité et de la conformité au principe de sécurité juridique, le dispositif légal et réglementaire peut s’avérer d’une application difficultueuse ». Elle admet qu’une prescription illusoire devrait être assimilée à un régime d’imprescriptibilité. Elle rejette cependant cette analyse en l’espèce au motif que le contribuable « ne présente aucune analyse pour conclure à l’existence d’un vice rédhibitoire ». Il n’est démontré ni allégué que l’administration disposerait de prérogatives purement potestatives lui permettant de fixer à sa guise le point de départ du délai décennal.
L’arrêt mentionne également la validation constitutionnelle de l’article L. 23 C par le Conseil constitutionnel le 15 octobre 2021. La cour observe qu’aucun grief relatif au régime de prescription n’avait été soumis au juge constitutionnel, alors qu’il aurait pu être invoqué sous l’angle des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
II. Les conditions de mise en œuvre de la procédure et le régime de la co-titularité
La cour examine la régularité de la procédure au regard des informations détenues par l’administration (A) avant de statuer sur les conséquences de la co-titularité du compte bancaire (B).
A. La connaissance préalable du montant des avoirs par l’administration
L’appelant soutenait que la procédure engagée était irrégulière au motif que l’administration ignorait le montant du solde créditeur lors du déclenchement de la procédure. Il estimait que les services fiscaux ne disposaient d’aucun élément leur permettant de déduire que le compte en question était approvisionné.
La cour écarte ce moyen en relevant qu’il « manque en fait ». Elle constate que l’administration « a reçu au plus tard le 26 octobre 2017 l’information des autorités fiscales allemandes du fait que M. [T] détenait un compte à l’étranger provisionné à hauteur d’une somme de 209 824 euros en 2009 ». Lors de la demande d’éclaircissements adressée au contribuable le 26 décembre 2017, le montant de la provision était donc nécessairement connu.
La cour refuse de se prononcer sur la question de savoir si l’exigence d’une connaissance préalable du montant constitue un ajout au texte légal. Elle se borne à constater que cette condition, à la supposer requise, était en tout état de cause remplie. Cette approche pragmatique évite d’enrichir inutilement les conditions procédurales posées par le texte tout en préservant les droits du contribuable dans les cas où l’information serait effectivement absente.
B. L’absence de présomption de partage en matière de co-titularité
Le contribuable invoquait sa qualité de co-titulaire du compte litigieux pour obtenir une réduction de moitié de son imposition. Il produisait des éléments établissant que le compte avait été ouvert à son nom mais également au nom d’une tierce personne.
La cour rappelle le principe selon lequel « la titularité d’un compte de dépôt à vue ne détermine pas à elle seule la qualité de propriétaire des fonds qui y sont déposés ». Elle admet une exception pour les époux communs en biens au profit desquels joue la présomption de communauté. En l’espèce, il ne résulte pas des pièces de la procédure que les co-titulaires soient unis par les liens du mariage sous un régime de communauté.
La cour envisage plusieurs hypothèses quant à la nature des liens unissant les co-titulaires. S’ils étaient en relation de concubinage régie par une convention, les fonds pourraient être qualifiés de biens indivis. S’ils sont simplement en relation d’affaires, le même régime probatoire s’applique. Dans tous les cas, « il incombait dès lors à l’appelant de démontrer qu’il ne détenait pas la propriété de la moitié de la provision figurant au crédit ».
Cette solution fait peser la charge de la preuve sur le contribuable qui invoque un partage des avoirs. L’administration peut donc redresser l’intégralité des sommes figurant sur un compte co-détenu, sauf au contribuable à démontrer qu’une partie de ces avoirs appartient au co-titulaire. Cette règle s’inscrit dans la logique de l’article 755 du code général des impôts qui présume les avoirs non justifiés comme constituant un patrimoine acquis à titre gratuit par le titulaire du compte.