Cour d’appel de Bordeaux, le 2 juillet 2025, n°23/02198

Par un arrêt du 2 juillet 2025, la cour d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions de preuve du contrat de location financière et sur la charge probatoire incombant au bailleur financier. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle les juridictions contrôlent la cohérence documentaire dans les litiges opposant les sociétés de financement à leurs clients défaillants.

Une société spécialisée dans la location financière de matériel professionnel avait conclu, le 19 mai 2021, un contrat de location portant sur un matériel d’encaissement. Ce contrat prévoyait le versement de quarante-huit loyers mensuels, incluant une prestation de maintenance et une option dite de bris-machine. Un procès-verbal de livraison et de conformité fut signé le 11 juin 2021. Face aux impayés, la société bailleresse mit en demeure la locataire le 13 mai 2022. Par jugement du 27 mars 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux débouta la société de financement de l’ensemble de ses demandes, considérant qu’elle avait échoué à établir le montant de sa créance. La société bailleresse interjeta appel le 9 mai 2023, sollicitant l’infirmation du jugement et la condamnation de la locataire au paiement des sommes dues ainsi qu’à la restitution du matériel sous astreinte. La société locataire ne constitua pas avocat.

La question posée à la cour était de savoir si le bailleur financier, qui produit un contrat dont les mentions diffèrent de l’extrait inséré dans ses conclusions et qui ne justifie pas de sa propre signature, rapporte la preuve suffisante de l’existence et du contenu des obligations contractuelles fondant sa créance.

La cour d’appel de Bordeaux confirme le jugement entrepris. Elle relève que le contrat produit en pièce « ne précise aucun coût pour l’option bris-machine pourtant cochée » et qu’il « ne comporte ni la signature de la société [bailleresse] ni le numéro du contrat de location mentionné sur la facture établie postérieurement ». La cour en déduit que la société « ne justifie pas que les sommes réclamées ont été contractuellement prévues, étant rappelé qu’elle ne démontre pas avoir signé elle-même le contrat ».

Cet arrêt soulève deux séries de questions. La première concerne les exigences probatoires relatives au contenu du contrat en matière de location financière (I). La seconde a trait à la portée de l’absence de signature du bailleur sur le contrat produit (II).

I. L’exigence de cohérence documentaire dans la preuve du contrat

La cour impose au bailleur financier de produire des éléments concordants pour établir le contenu contractuel (A), ce qui traduit une application rigoureuse du droit de la preuve aux professionnels du financement (B).

A. La discordance entre le contrat produit et les prétentions formulées

La cour relève une contradiction entre le document contractuel versé aux débats et l’extrait reproduit dans les conclusions de l’appelante. Le contrat produit en pièce ne mentionne aucun prix pour l’option bris-machine, alors même que cette option était cochée et que la société réclamait son paiement. Cette discordance suffit à jeter le doute sur la réalité des engagements allégués.

La juridiction applique ici une règle élémentaire de la preuve civile. Le demandeur qui se prévaut d’une créance contractuelle doit établir non seulement l’existence du contrat, mais également son contenu précis. La simple production d’un document lacunaire ou contradictoire ne satisfait pas à cette exigence. Les articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile commandent que la partie qui réclame l’exécution d’une obligation en rapporte la preuve.

B. Une exigence probatoire adaptée aux professionnels du financement

La solution retenue peut sembler sévère au regard de la pratique des sociétés de location financière, qui traitent un volume considérable de contrats. La cour n’admet aucune tolérance liée à cette circonstance. Le professionnel du financement est tenu à une rigueur documentaire particulière, précisément parce qu’il organise et conserve les archives contractuelles.

Cette exigence s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence constante. Les juridictions refusent régulièrement de faire droit aux demandes des établissements financiers qui ne produisent pas l’intégralité des documents contractuels ou qui présentent des pièces comportant des incohérences. La force obligatoire du contrat, rappelée par l’article 1103 du code civil, suppose que le contenu de celui-ci soit établi avec certitude.

La cour pose ainsi un principe de cohérence documentaire qui irrigue l’ensemble du contentieux des impayés en matière de location financière.

II. La question de la signature du bailleur sur le contrat

L’arrêt relève l’absence de signature du bailleur sur le contrat produit (A), ce qui conduit à s’interroger sur les conditions de formation du contrat de location financière (B).

A. L’absence de signature comme indice d’un défaut de perfection contractuelle

La cour observe que le contrat produit ne comporte pas la signature de la société bailleresse. Elle ajoute que le numéro de contrat figurant sur la facture postérieure ne correspond pas au document versé aux débats. Ces éléments conduisent à mettre en doute l’existence même du lien contractuel invoqué.

La signature constitue en principe la manifestation de la volonté de s’engager. Son absence sur le document produit par le créancier lui-même pose une difficulté probatoire majeure. Comment le bailleur peut-il se prévaloir d’un contrat dont il n’établit pas qu’il l’a lui-même signé ? La cour formule cette interrogation de manière explicite en relevant que la société « ne démontre pas avoir signé elle-même le contrat ».

B. Les implications pratiques pour les opérateurs du financement

Cette décision invite les sociétés de location financière à une vigilance accrue dans la constitution et la conservation de leurs dossiers contractuels. La production d’un exemplaire incomplet ou non signé expose le bailleur à un rejet de ses demandes, quand bien même l’existence de la relation contractuelle ne serait pas sérieusement contestée.

La solution peut paraître favorable au débiteur défaillant qui, en l’espèce, n’a pas même constitué avocat. Elle répond néanmoins à une logique probatoire irréprochable. Le juge ne peut condamner une partie au paiement de sommes dont le fondement contractuel n’est pas établi avec certitude. L’article 1104 du code civil, également visé par la cour, impose que les contrats soient exécutés de bonne foi. Cette exigence vaut également pour le créancier qui doit, lorsqu’il agit en justice, être en mesure de justifier précisément de sa créance.

La portée de cet arrêt dépasse le cas d’espèce. Il rappelle aux professionnels du financement que la preuve du contrat ne saurait résulter de la seule production de factures ou de tableaux d’amortissement. Le document contractuel original, complet et signé par les deux parties, demeure l’instrument probatoire par excellence.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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