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La question de l’exigibilité des honoraires d’un consultant ayant obtenu une subvention publique non effectivement versée à son client constitue un terrain propice à l’exploration des fondements du droit des contrats. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux le 3 septembre 2025 illustre cette problématique avec une clarté remarquable.
Une société holding spécialisée dans la construction métallique avait confié à un cabinet de conseil la mission de rechercher et monter des dossiers de demandes d’aides publiques pour ses filiales. Le contrat prévoyait une rémunération forfaitaire complétée par un honoraire de résultat fixé à quinze pour cent du montant des subventions accordées. Le consultant obtint une subvention de huit cent mille euros dans le cadre du programme Industrie du futur. Toutefois, la société bénéficiaire n’engagea pas les investissements requis dans les délais impartis et fut déchue de ses droits à cette aide publique. Le consultant réclama néanmoins le paiement de ses honoraires calculés sur le montant de la subvention accordée.
Le juge des référés du tribunal de commerce de Tours condamna solidairement les sociétés débitrices au paiement d’une provision de cent quarante-quatre mille euros. Après un incident de compétence territoriale tranché par la cour d’appel d’Orléans qui renvoya l’affaire à Bordeaux, les appelantes contestèrent cette condamnation en invoquant deux contestations sérieuses : la violation du devoir de conseil et la nullité du contrat.
La question posée à la Cour d’appel de Bordeaux était la suivante : l’existence d’une contestation fondée sur la violation du devoir de conseil ou sur la prétendue nullité d’une clause de rémunération au résultat peut-elle faire obstacle à l’octroi d’une provision en référé lorsque la subvention obtenue n’a finalement pas été versée du fait du comportement du client ?
La cour confirma l’ordonnance de référé en considérant que les contestations soulevées ne revêtaient pas un caractère sérieux. Elle jugea que « la violation du devoir de conseil ne peut être considérée comme une contestation sérieuse qui mettrait en échec une demande de paiement formée en référé » et que le fait que la rémunération soit due « dès l’accord officiel des personnes publiques sollicitées et non au déblocage des fonds ne peut être considérée comme vidant l’obligation du débiteur de sa substance au sens de l’article 1170 du code civil ».
Cette décision mérite examen tant sur le plan de l’appréciation de la contestation sérieuse en matière de violation du devoir de conseil (I) que sur celui de la validité des clauses de rémunération au résultat déconnectées du bénéfice effectif du client (II).
I. Le rejet du devoir de conseil comme contestation sérieuse en référé
L’argumentation des appelantes reposait sur l’idée que le consultant avait failli à son obligation de proposer des subventions réellement adaptées aux besoins de l’entreprise (A). La cour écarta ce moyen en opérant une distinction nette entre l’inexécution contractuelle et la responsabilité pour manquement au devoir de conseil (B).
A. L’invocation d’un manquement au devoir de conseil inadapté aux besoins du client
Les sociétés débitrices soutenaient que le consultant avait « fait passer son intérêt personnel avant celui de sa cliente » en obtenant une subvention inadaptée puis en la faisant transférer vers une filiale solvable capable d’honorer une facture élevée. Elles reprochaient au prestataire de s’être limité à une démarche administrative sans rechercher les aides véritablement utiles au projet de développement.
Cette argumentation révélait une conception extensive du devoir de conseil qui aurait imposé au consultant non seulement d’identifier les subventions accessibles mais encore d’évaluer leur pertinence économique au regard de la stratégie industrielle de son client. Les appelantes estimaient qu’un professionnel du conseil en investissement public ne pouvait se retrancher derrière la simple obtention d’une aide pour réclamer sa rémunération lorsque cette aide s’avérait finalement inutilisable.
B. La dissociation entre exécution contractuelle et responsabilité pour faute
La cour rejeta cette argumentation en distinguant clairement deux questions juridiques autonomes. Elle constata d’abord que le consultant avait exécuté ses obligations contractuelles puisque la subvention avait bien été accordée conformément aux termes du contrat. Elle releva ensuite que « l’éventuelle violation du devoir de conseil n’a pas pour effet le débouté d’une telle demande mais peut le cas échéant ouvrir droit à l’allocation de dommages et intérêts, ce qui relève des pouvoirs du juge du fond ».
Cette motivation traduit une conception restrictive de la contestation sérieuse en référé. La cour considère que seul un moyen susceptible de priver le créancier de son droit au paiement peut constituer une telle contestation. Or le manquement au devoir de conseil, à le supposer établi, ne ferait naître qu’une créance de réparation compensable avec la dette d’honoraires mais n’anéantirait pas cette dernière. Cette approche présente l’avantage de la clarté procédurale mais pourrait être discutée lorsque le préjudice allégué équivaut ou excède le montant réclamé.
II. La validité de la clause de rémunération déconnectée du bénéfice effectif
Les appelantes invoquaient également la nullité du contrat ou le caractère non écrit de la clause de rémunération sur le fondement de l’article 1170 du code civil (A). La cour écarta ce moyen en rappelant que le fait générateur de la rémunération résultait d’un choix contractuel licite que le comportement ultérieur du client ne pouvait remettre en cause (B).
A. La tentative d’application de l’article 1170 aux honoraires de résultat
Les sociétés débitrices soutenaient que « la rémunération d’une prestation doit être corrélée à la réalisation de l’objet même du contrat » et que percevoir une commission sans que le client ait effectivement bénéficié de la subvention reviendrait à « imposer un prix sans contrepartie réelle ». Elles qualifiaient la clause litigieuse d’abusive et demandaient qu’elle soit réputée non écrite.
Cette argumentation tentait d’importer dans les relations entre professionnels une logique protectrice inspirée du droit de la consommation. Elle postulait que l’obligation essentielle du consultant résidait dans l’obtention d’un financement effectif et non dans la simple obtention d’une décision de principe. Une telle lecture aurait considérablement restreint la liberté contractuelle des parties dans la définition du fait générateur de la rémunération.
B. La consécration de l’autonomie de la volonté dans la définition du résultat
La cour rejeta cette analyse en relevant que « la décision incombait donc exclusivement aux appelantes » et que « le fait que la rémunération de l’intimée soit due dès l’accord officiel des personnes publiques sollicitées et non au déblocage des fonds ne peut être considérée comme vidant l’obligation du débiteur de sa substance ».
Cette solution respecte la lettre du contrat qui prévoyait expressément que « les rémunérations en fonction du résultat seront payées par le client aux dates d’acceptation officielle par les organismes financeurs ». La cour refuse de substituer sa propre appréciation de l’équilibre contractuel à celle des parties. Elle souligne implicitement que le non-versement de la subvention résulte d’une carence du client qui n’a pas engagé les investissements requis dans les délais. Faire supporter au consultant les conséquences de cette inaction reviendrait à lui imposer une obligation de garantie du comportement de son cocontractant que rien dans la convention ne prévoyait.