Cour d’appel de Chambéry, le 14 août 2025, n°24/01315

La protection du salarié victime d’un accident du travail contre toute rupture de son contrat de travail durant la période de suspension constitue un pilier du droit social. La chambre sociale de la Cour d’appel de Chambéry, dans un arrêt du 14 août 2025, vient rappeler les contours stricts de cette protection en précisant les conditions d’existence d’une convention tripartite organisant la poursuite du contrat de travail.

Un salarié avait été embauché le 1er janvier 2011 en qualité de directeur de restaurant dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. Le 24 septembre 2014, il fut victime d’un accident du travail et bénéficia d’arrêts successifs jusqu’au 20 janvier 2017. Le 31 décembre 2014, alors que son contrat demeurait suspendu, il signa avec son employeur un document intitulé rupture de contrat d’un commun accord. Dès le lendemain, il conclut un nouveau contrat à durée indéterminée avec une société appartenant à la même unité économique et sociale pour exercer les mêmes fonctions.

Le salarié saisit le conseil de prud’hommes aux fins de voir prononcer la nullité de cette rupture intervenue pendant la suspension de son contrat. Le conseil de prud’hommes de Valence, par jugement du 22 janvier 2020, le débouta de l’ensemble de ses demandes. La Cour d’appel de Grenoble confirma ce rejet par arrêt du 6 septembre 2022. La Cour de cassation, le 7 mai 2024, cassa partiellement cet arrêt au motif qu’aucune convention tripartite n’avait été signée entre le salarié et ses employeurs successifs organisant la poursuite du même contrat de travail.

Devant la Cour d’appel de Chambéry, statuant sur renvoi, le salarié sollicitait la nullité de la rupture et des dommages-intérêts. Les sociétés intimées soutenaient que les deux documents signés formalisaient une convention tripartite ayant pour objet d’organiser la poursuite du contrat de travail.

La question posée à la cour était de déterminer si la signature successive de deux documents distincts, l’un formalisant une rupture d’un commun accord et l’autre un nouveau contrat de travail, pouvait caractériser l’existence d’une convention tripartite excluant l’application des règles protectrices du salarié accidenté.

La Cour d’appel de Chambéry infirme le jugement entrepris et prononce la nullité de la rupture du contrat de travail. Elle juge que l’absence de convention tripartite écrite signée par les trois parties rend la rupture illicite au regard de l’article L. 1226-9 du code du travail.

Cette décision invite à examiner successivement l’exigence formaliste d’une convention tripartite pour écarter la protection légale du salarié accidenté (I), puis les conséquences indemnitaires attachées à la nullité de la rupture (II).

I. L’exigence d’une convention tripartite écrite pour organiser la poursuite du contrat de travail

La cour rappelle le cadre protecteur applicable au salarié accidenté (A) avant de préciser les conditions strictes de la convention tripartite (B).

A. Le principe de protection du salarié victime d’un accident du travail

La cour énonce que le contrat de travail du salarié victime d’un accident du travail est suspendu pendant la durée de l’arrêt de travail provoqué par l’accident. Elle rappelle qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie. Toute rupture intervenue en méconnaissance de ces dispositions est frappée de nullité.

Cette protection d’ordre public vise à préserver le salarié fragilisé par un accident de travail contre toute initiative de l’employeur tendant à mettre fin au contrat. La cour souligne que l’article L. 1231-1 du code du travail encadre strictement les modes de rupture du contrat à durée indéterminée. Une rupture d’un commun accord ne saurait intervenir librement durant cette période de suspension sans respecter les garanties légales.

La jurisprudence admet toutefois qu’une convention tripartite puisse organiser la poursuite du contrat de travail auprès d’un nouvel employeur. Dans cette hypothèse, il ne s’agit pas d’une rupture mais d’un transfert conventionnel du lien d’emploi. Cette exception ne peut cependant jouer qu’à des conditions précises que la cour va examiner.

B. L’absence de convention tripartite régulièrement formalisée

La cour constate que le salarié a signé deux documents distincts. Le premier, daté du 31 décembre 2014, était intitulé rupture de contrat d’un commun accord et mentionnait que le salarié prendrait ses fonctions auprès de la nouvelle société aux mêmes conditions ou plus avantageuses. Le second, signé le 1er janvier 2015, était un contrat de travail à durée indéterminée avec la société cessionnaire.

La cour juge que ce document du 31 décembre 2014, bien qu’il mentionne la prise de fonctions auprès de la nouvelle société, ne liait aucunement cette dernière, celle-ci n’étant pas partie à sa signature. Elle précise que le fait que le salarié ait signé dès le lendemain un contrat à durée indéterminée avec la société cessionnaire ne saurait suffire à caractériser l’existence d’une convention tripartite, aucun document écrit n’ayant été régularisé entre les trois parties pour organiser la poursuite du contrat de travail.

Cette analyse s’inscrit dans le prolongement de la cassation intervenue. La Cour de cassation avait censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble pour avoir déduit l’existence d’une convention tripartite de la seule chronologie des actes, alors qu’aucun accord n’avait été réuni dans un même acte. La cour de renvoi tire les conséquences de cette cassation en exigeant un écrit unique liant les trois parties.

La cour ajoute que ce document ne saurait non plus valoir rupture conventionnelle, les règles propres à ce mode de rupture n’ayant pas été respectées. Elle relève notamment l’absence de justification de la tenue de l’entretien obligatoire, l’absence de mention du montant de l’indemnité de rupture conventionnelle et l’absence d’homologation par l’autorité administrative.

II. Les conséquences indemnitaires de la nullité de la rupture

La cour statue sur l’indemnisation du salarié (A) et sur le rejet de la demande de solidarité (B).

A. La réparation du préjudice résultant de la rupture nulle

La cour prononce la nullité de la rupture du contrat de travail intervenue le 31 décembre 2014 pour méconnaissance des dispositions de l’article L. 1226-9 du code du travail. Elle reconnaît au salarié le droit de solliciter une indemnité au titre de cette nullité. En application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable à la date de la rupture, cette indemnité ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Toutefois, la cour apprécie souverainement le préjudice effectivement subi. Elle relève que le salarié a immédiatement contracté un nouveau contrat à durée indéterminée, dans les mêmes fonctions et selon les mêmes conditions notamment salariales dont il bénéficiait, et avec reprise d’ancienneté. Elle observe qu’il ne justifie aucunement en quoi la dégradation de sa situation financière alléguée serait la conséquence de cette rupture.

Cette motivation témoigne d’une approche pragmatique de l’indemnisation. La nullité de la rupture entraîne certes le droit à réparation, mais le quantum demeure fonction du préjudice réel. La poursuite immédiate et dans des conditions équivalentes de la relation de travail limite mécaniquement ce préjudice. La cour fixe l’indemnité à 22 100 euros nets, soit le plancher légal des six mois de salaire.

L’arrêt déclare par ailleurs irrecevables les demandes nouvelles de rappel d’indemnité de licenciement et d’indemnité compensatrice de préavis. La cour applique le principe de concentration des prétentions résultant de l’article 910-4 du code de procédure civile. Ces demandes n’ayant pas été présentées dans les premières conclusions devant la Cour d’appel de Grenoble, elles ne pouvaient être formées pour la première fois devant la cour de renvoi.

B. Le rejet de la demande de condamnation solidaire

Le salarié sollicitait la condamnation solidaire de la société employeur et d’une autre société du groupe. La cour constate qu’il omet d’expliquer les raisons pour lesquelles cette seconde société devrait être solidairement condamnée. Elle relève que cette société n’a aucun rôle ni responsabilité dans la rupture du contrat de travail.

La condamnation solidaire suppose l’existence d’un fondement juridique. L’appartenance à une même unité économique et sociale n’emporte pas automatiquement solidarité des entités la composant pour les dettes nées de l’exécution ou de la rupture d’un contrat de travail conclu avec l’une d’elles. La cour fait une exacte application de ce principe.

Cette décision rappelle que la nullité de la rupture n’affecte que les parties au contrat rompu. La société ayant conclu le nouveau contrat de travail ne saurait être tenue des conséquences de l’illicéité d’un acte auquel elle n’était pas partie. La circonstance que les deux sociétés appartenaient à la même unité économique et sociale demeurait inopérante en l’absence de démonstration d’un fondement à la solidarité.

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Hassan KOHEN
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