Cour d’appel de Dijon, le 10 juillet 2025, n°23/00531

Par un arrêt du 10 juillet 2025, la cour d’appel de Dijon a statué sur la violation alléguée d’une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail d’infirmière coordinatrice spécialisée dans le suivi de patients diabétiques et parkinsoniens.

Une salariée avait été engagée le 4 février 2019 en qualité d’infirmière coordinatrice diabète et suivi Parkinson. Son contrat comportait une clause de non-concurrence lui interdisant, pendant douze mois suivant la rupture et sur un secteur géographique déterminé, d’exercer des fonctions similaires ou concurrentes dans le domaine des prestations médico-techniques à domicile. Cette clause prévoyait une contrepartie financière équivalant à un tiers du salaire mensuel brut moyen. La salariée a démissionné le 31 mai 2021 et a été embauchée dès le 1er septembre 2021 par une société concurrente. L’employeur a constaté que plusieurs patients anciennement suivis par l’intéressée avaient changé de prestataire au profit de ce concurrent.

L’employeur a saisi le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône qui, par jugement du 4 septembre 2023, a déclaré la clause licite et condamné la salariée au remboursement de la contrepartie financière perçue ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts au titre de la clause pénale. La salariée a interjeté appel le 3 octobre 2023, contestant tant la validité de la clause que sa prétendue violation.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si une clause de non-concurrence imposée à une infirmière coordinatrice exerçant dans le secteur des prestations médico-techniques à domicile remplit les conditions de licéité, notamment celle tenant à la protection des intérêts légitimes de l’employeur. Il convenait également d’apprécier si les preuves produites par l’employeur, dont des sommations interpellatives recueillies auprès de patients, sont admissibles au regard du droit à la preuve et, le cas échéant, si elles établissent la violation de la clause.

La cour d’appel de Dijon confirme le jugement entrepris. Elle retient que la clause de non-concurrence est licite, que la salariée l’a violée et qu’elle doit en conséquence rembourser la contrepartie financière perçue et payer le montant de la clause pénale.

I. La reconnaissance de la licéité d’une clause de non-concurrence protégeant un savoir-faire sectoriel

A. L’exigence cumulative des conditions de validité

La cour rappelle le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et les conditions cumulatives de licéité d’une clause de non-concurrence. La clause doit être « indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace », tenir « compte des spécificités de l’emploi du salarié » et comporter « l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière ».

La salariée contestait la condition relative à la protection des intérêts légitimes en invoquant le libre choix du patient et du prescripteur. Elle soutenait que ses fonctions, consistant à appliquer des ordonnances prescrites, ne menaçaient pas les intérêts de l’employeur. Cette argumentation présentait une certaine pertinence dans un secteur réglementé où le patient conserve théoriquement sa liberté de choix.

La cour écarte cette analyse en distinguant soigneusement les différentes libertés en présence. Elle observe que la clause « ne constitue aucunement un obstacle à l’exercice des fonctions d’infirmière ni à la liberté des patients de choisir son prescripteur ». Le prescripteur, qu’il soit médecin ou établissement hospitalier, est « distinct de l’infirmière mettant en œuvre le protocole de soins ». Cette distinction fonctionnelle permet de préserver la validité de la clause.

B. La caractérisation d’un intérêt légitime fondé sur le savoir-faire

La cour refuse de limiter les intérêts légitimes de l’employeur aux seuls intérêts financiers. Elle relève que celui-ci « a développé, dans un secteur spécialisé, un savoir-faire au profit de patients suivis à domicile lesquels lui sont adressés par des prescripteurs démarchés à cet effet ».

Cette motivation révèle une conception large de l’intérêt légitime. Le savoir-faire technique, le réseau de prescripteurs et la clientèle développée constituent des éléments patrimoniaux méritant protection. La clause « tend donc à la protection de ces intérêts lesquels sont liés au développement d’une clientèle dans un secteur concurrentiel ».

L’approche retenue témoigne d’une prise en compte réaliste du fonctionnement économique des prestataires de santé à domicile. Le patient, bien que libre de son choix, est souvent orienté par un réseau professionnel que l’employeur a patiemment construit. La salariée, en contact direct avec les patients et les prescripteurs, dispose d’informations stratégiques justifiant une restriction temporaire de sa liberté professionnelle.

II. L’admission d’une preuve attentatoire à la vie privée au nom du droit à la preuve

A. La mise en balance des droits fondamentaux en présence

La salariée contestait la validité de sommations interpellatives recueillies auprès de patients par un huissier de justice. Ces déclarations révélaient la pathologie des patients interrogés. La cour applique le cadre jurisprudentiel issu de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Elle énonce que « lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence ». Le juge doit apprécier « si une preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale, porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble ».

La cour reconnaît l’existence d’une « atteinte au secret médical et à la vie privée ». L’huissier avait interrogé les patients sur leur traitement d’insulinothérapie, ce qui impliquait une connaissance préalable de leur pathologie. Cette atteinte devait être mise en balance avec le droit à la preuve de l’employeur.

B. La justification par le caractère indispensable de la preuve

La cour juge que la production des déclarations « est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, l’employeur ne pouvant obtenir ces éléments par un autre moyen ». Elle ajoute que cette production « porte une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi ».

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence permettant d’admettre des preuves illicites lorsqu’elles sont indispensables. L’employeur souhaitant prouver une violation de clause de non-concurrence se trouve dans une situation probatoire délicate. Les actes de concurrence s’accomplissent dans un cadre confidentiel, le patient étant souvent le seul témoin des agissements du salarié.

La cour relève par ailleurs que « ces patients ont librement répondu ». Cette circonstance atténue la gravité de l’atteinte. Les patients, interrogés par un huissier, ont consenti à révéler des informations sur leur suivi médical. La liberté de leur réponse distingue cette situation d’une captation clandestine d’informations.

Néanmoins, ces seules déclarations ne suffisent pas à établir la violation. Les patients ont indiqué avoir « choisi librement et par choix le changement de prestataire » et ont « réfuté une quelconque incitation ou conseil ». La cour devait donc examiner les autres éléments produits par l’employeur.

C’est l’accumulation d’indices concordants qui emporte la conviction des juges. Les fiches de changement de prestataire dès les premiers jours de septembre 2021, la participation de la salariée à une réunion médicale pour le compte du concurrent, la perte de plusieurs patients anciennement suivis par l’intéressée et le taux anormalement élevé de changements de prestataire constituent un faisceau d’éléments démontrant la violation. La cour observe que « 40,30 % des anciens patients de la salariée ont changé de prestataire au profit de la société ASDIA et ce dans les premières semaines suivant la démission de l’intéressée, ce qui constitue un nombre anormalement élevé ».

Cette décision illustre la tension entre protection des données de santé et nécessité probatoire en matière de concurrence déloyale. La cour opère un arbitrage pragmatique permettant à l’employeur de faire valoir ses droits tout en exigeant que l’atteinte à la vie privée soit strictement nécessaire et proportionnée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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