- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Cour d’appel de Grenoble, 9 septembre 2025. Saisie d’un appel contre une ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Valence du 13 novembre 2024, la cour tranche un conflit de compétence né d’une action directe engagée pour obtenir une expertise et des provisions. L’affaire naît de soins reçus dans un établissement public hospitalier, d’une expertise amiable, puis d’assignations visant l’assureur de cet établissement et l’assureur personnel de la victime.
Le premier juge a ordonné une expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, tout en refusant les provisions sollicitées. L’assureur de l’établissement a soulevé l’incompétence du juge judiciaire, tandis que la victime demandait l’infirmation et des avances indemnitaires.
La question est celle des pouvoirs du juge des référés judiciaire saisi d’une action directe contre l’assureur d’un établissement public hospitalier depuis la loi du 11 décembre 2001. La cour infirme, retient l’incompétence du juge judiciaire et renvoie à mieux se pourvoir devant la juridiction administrative. L’analyse précise d’abord le cadre normatif et la qualification opérée, puis apprécie la valeur et la portée de la solution.
I. Compétence en référé et action directe après la loi de 2001
A. Portée de l’article 145 CPC et limites du pouvoir du juge judiciaire
La cour rappelle sans détour que « En droit, les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ne font pas échec aux règles gouvernant la compétence respective des deux ordres de juridiction. » L’article 145 ne constitue pas un passe-droit procédural permettant d’empiéter sur l’ordre de juridiction incompétent.
Elle souligne ensuite la règle cardinale selon laquelle « La compétence du juge des référés de l’ordre judiciaire est restreinte aux litiges dont la connaissance appartient quant au fond aux juridictions du même ordre. » Le pouvoir d’ordonner une mesure d’instruction suppose donc l’appartenance du fond au même ordre juridictionnel.
La cour encadre enfin l’exception fréquemment invoquée en référé probatoire par un attendu de principe particulièrement clair: « Enfin, si avant tout procès et toute détermination de la compétence au fond, et dès lors que le litige est de nature à relever, fût-ce pour partie, de l’ordre de juridiction auquel il appartient, le juge des référés peut ordonner une mesure d’instruction sans que soit en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, il en est autrement lorsqu’il est demandé au juge des référés d’ordonner une mesure d’instruction qui porte à titre exclusif sur un litige dont la connaissance au fond n’appartient manifestement pas à son ordre de juridiction. » Le critère d’exclusivité oriente décisivement la solution retenue.
B. Action directe et critère de la nature du contrat d’assurance
La cour rappelle d’abord la source et l’objet de l’action directe: « L’article L. 124-3 du code des assurances reconnaît au tiers à un contrat d’assurance qui a subi une lésion un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. » Elle précise en termes classiques que « La victime d’un dommage causé par un établissement public hospitalier peut exercer une action directe auprès de l’assureur de celui-ci en vue de son indemnisation, cette action n’étant ouverte qu’autant que l’assuré puisse être déclaré responsable du dommage. »
La clef de répartition des compétences tient toutefois au support contractuel de l’obligation garantie: « Dès lors que l’obligation de réparation par la voie de l’action directe trouve son fondement dans le contrat d’assurance conclu entre le responsable et son assureur, la nature de ce contrat constitue le critère de la compétence juridictionnelle. » Depuis la loi n° 2001‑1168 du 11 décembre 2001, les marchés d’assurance passés par des personnes publiques présentent, en principe, un caractère administratif, ce qui détermine le juge compétent.
La cour en déduit qu’une mesure d’instruction sollicitée pour apprécier des soins dispensés par un établissement public, et destinée à fixer les éléments du préjudice dans le cadre de l’action directe contre son assureur, porte exclusivement sur un litige relevant de l’ordre administratif. Dans cette configuration, l’article 145 ne peut fonder l’intervention du juge judiciaire, qui se déclare incompétent et renvoie à mieux se pourvoir.
II. Appréciation de la solution et portée pratique
A. Cohérence avec le dualisme juridictionnel et la séparation des autorités
La solution épouse fidèlement le dualisme juridictionnel, en articulant l’office du juge des référés avec la nature du contrat d’assurance sous-jacent. Elle conforte la logique de la loi du 11 décembre 2001, en assignant au juge administratif le contentieux de l’action directe lorsque le contrat lie un assureur à une personne publique.
La cour ménage néanmoins la souplesse utile en rappelant que le juge des référés judiciaire peut intervenir « dès lors que le litige est de nature à relever, fût‑ce pour partie », de son ordre. La limite tient à l’exclusivité de l’objet de la mesure d’instruction, que l’arrêt caractérise précisément au regard de la prise en charge hospitalière publique. La cohérence systémique l’emporte ainsi sur des considérations d’opportunité probatoire propres au référé.
La rigueur de l’analyse peut paraître contraignante pour les victimes, soucieuses de célérité et de lisibilité procédurale. Elle demeure pourtant conforme au principe de séparation des autorités et évite des mesures d’instruction prononcées par un juge incompétent sur le fond, source d’aléas et de contentieux de compétence.
B. Effets sur la stratégie contentieuse des victimes et des assureurs
L’orientation est claire pour les praticiens: les demandes d’expertise destinées à établir des fautes imputées à un établissement public et à chiffrer un préjudice doivent être portées devant la juridiction administrative, y compris lorsque l’action est formée par la voie directe contre l’assureur. Les référés expertise du code de justice administrative offrent le vecteur procédural adapté.
Lorsque plusieurs défendeurs appartiennent à des ordres distincts, la clause rappelée par la cour invite à analyser l’objet réel de la mesure sollicitée. Si la mesure vise, au moins pour partie, un pan du litige relevant de l’ordre judiciaire, une intervention du juge judiciaire peut rester envisageable. Si, à l’inverse, l’objet est exclusivement administratif, la voie judiciaire s’avère fermée.
Cette clarification prévient le forum shopping et oriente utilement la construction des stratégies contentieuses, notamment quant au séquençage des demandes provisionnelles. Elle incite enfin à intégrer plus tôt l’alternative amiable ou médico-légale, dont la valeur probatoire dépendra in fine du contrôle du juge compétent sur le fond.