- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La convention de forfait en jours constitue un dispositif d’aménagement du temps de travail dont l’efficacité repose sur la mise en œuvre effective des garanties protectrices du salarié. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt rendu le 5 septembre 2025, rappelle avec fermeté l’étendue des obligations patronales en la matière.
Une salariée avait été engagée le 3 juin 2019 en qualité d’animatrice coordinatrice, statut cadre, soumise à une convention de forfait de 210 jours annuels. Elle avait sollicité le renouvellement de sa période d’essai, lequel lui fut accordé le 27 septembre 2019 pour s’achever le 2 février 2020. Placée en arrêt de travail à compter du 25 septembre 2019, elle s’était vu notifier la rupture de sa période d’essai par lettre du 18 novembre 2019, avec effet au 20 décembre suivant. La salariée avait alors saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la condamnation de son employeur au paiement d’heures supplémentaires, de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour rupture abusive de la période d’essai. Par jugement du 7 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Saint-Étienne l’avait déboutée de l’ensemble de ses demandes.
La salariée prétendait que sa charge de travail avait été excessive, qu’elle en avait alerté son employeur sans que celui-ci ne prenne aucune mesure correctrice, et que cette situation avait altéré sa santé. L’employeur répliquait que la salariée disposait d’une totale autonomie dans l’organisation de son temps et qu’elle n’avait jamais transmis le décompte mensuel de ses jours travaillés prévu par la convention collective.
La cour d’appel devait déterminer si la convention de forfait en jours pouvait être privée d’effet en raison du manquement de l’employeur à ses obligations de suivi. Elle devait également apprécier l’existence d’heures supplémentaires, la réalité du harcèlement moral allégué et le caractère abusif de la rupture de la période d’essai.
La cour d’appel infirme partiellement le jugement. Elle juge que l’employeur ne pouvait se retrancher derrière l’absence de communication mensuelle du nombre de jours travaillés pour s’exonérer de sa responsabilité et prive la convention de forfait d’effet. Elle condamne l’association au paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, tout en déboutant la salariée de ses demandes relatives au harcèlement moral et à la rupture abusive de la période d’essai.
Cette décision invite à examiner successivement le régime de l’inopposabilité de la convention de forfait en jours (I) et les limites du contrôle judiciaire en matière de rupture de la relation de travail (II).
I. L’inopposabilité de la convention de forfait sanctionnant le défaut de suivi patronal
La cour d’appel de Lyon rappelle l’étendue des obligations de l’employeur en matière de forfait-jours (A) avant d’en tirer les conséquences sur le plan indemnitaire (B).
A. L’obligation de suivi comme condition de validité du forfait
La convention de forfait en jours repose sur un équilibre entre l’autonomie accordée au salarié et les garanties que l’employeur doit lui assurer. L’article L. 3121-60 du code du travail impose à ce dernier de s’assurer régulièrement que la charge de travail demeure raisonnable et correctement répartie dans le temps. La convention collective applicable précisait cette exigence en prévoyant un planning mensuel prévisionnel et un bilan annuel de contrôle.
La cour énonce que l’employeur ne peut se retrancher derrière l’absence de communication mensuelle du nombre de jours travaillés pour s’exonérer de sa responsabilité. Elle ajoute que le suivi du caractère raisonnable de la charge de travail et le respect de l’équilibre vie privée/vie professionnelle incombent à l’employeur dans le cadre du respect de son obligation de sécurité. Cette formulation tranche une question récurrente : la défaillance du salarié dans la transmission des documents de décompte ne saurait dispenser l’employeur de ses propres obligations.
La solution s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, depuis les années 2010, contrôle strictement les garanties entourant le forfait-jours. L’arrêt du 11 mars 2025 cité par la cour confirme que le manquement aux dispositions protectrices prive la convention d’effet, sans ouvrir à lui seul droit à réparation. Cette articulation distingue clairement la sanction de l’inopposabilité, qui relève du régime du forfait, de l’indemnisation d’un préjudice distinct qui doit être démontré.
B. La quantification des heures supplémentaires après privation d’effet
Une fois la convention privée d’effet, le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires effectuées. L’article L. 3171-4 du code du travail organise un partage de la charge probatoire : le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement.
La salariée produisait un décompte semaine par semaine ainsi que ses agendas professionnels. L’employeur opposait des attestations de bénévoles indiquant des horaires de départ vers 17h30/18h, des relevés de la caisse primaire d’assurance maladie attestant de rendez-vous de kinésithérapie non mentionnés sur les agendas, et un calcul du nombre réel de jours travaillés compte tenu des fermetures estivales et des arrêts maladie.
La cour observe que les décomptes de la salariée apparaissent anormalement élevés pour la période estivale alors que l’association était fermée. Elle relève également que les pages d’agenda ne comportent aucune mention des rendez-vous médicaux pris sur des jours travaillés. Confrontant ces éléments contradictoires, elle retient 132 heures supplémentaires majorées à 25 %, soit un rappel de 2 855,16 euros brut outre congés payés afférents.
Cette approche illustre le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui, sans s’en tenir aux seuls décomptes produits par le salarié ni aux dénégations de l’employeur, forgent leur conviction à partir de l’ensemble des pièces versées aux débats.
La privation d’effet de la convention de forfait et ses conséquences indemnitaires ayant été examinées, il convient d’analyser les demandes relatives à la rupture de la relation de travail.
II. Les limites du contrôle judiciaire en matière de rupture de la relation de travail
La cour refuse de qualifier les faits de harcèlement moral (A) et confirme le caractère non abusif de la rupture de la période d’essai (B).
A. L’exigence d’agissements répétés et matériellement établis
L’article L. 1152-1 du code du travail prohibe les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible notamment d’altérer la santé du salarié. Le mécanisme probatoire aménagé impose au juge d’examiner si les faits présentés laissent présumer l’existence d’un harcèlement, à charge pour l’employeur de démontrer qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs.
La salariée invoquait des courriels accusateurs émanant d’un membre fondateur, des sollicitations durant ses arrêts de travail et une plainte pénale déposée à son encontre. La cour examine chaque fait séparément. Les courriels s’inscrivaient dans un contexte légitime d’interrogation sur les dépenses engagées et l’employeur avait immédiatement demandé à leur auteur de s’excuser. Les SMS échangés pendant l’arrêt maladie relevaient d’échanges cordiaux à l’initiative parfois de la salariée elle-même. La plainte pénale était postérieure à la relation de travail.
La cour énonce que le harcèlement moral n’est en soi ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l’ordre par un supérieur hiérarchique. Cette formulation rappelle que la qualification de harcèlement moral exige la démonstration d’agissements excédant le cadre normal des relations de travail. Les certificats médicaux produits, établis sur les seules déclarations de la patiente sans contact avec l’employeur, ne pouvaient constituer un indice de la réalité des agissements dénoncés.
Le rejet de la demande au titre du harcèlement moral préserve le champ de cette qualification, réservée aux comportements effectivement caractérisés et non aux simples difficultés relationnelles inhérentes à l’exécution du contrat de travail.
B. Le contrôle restreint de la rupture de la période d’essai
La période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié et à ce dernier d’apprécier si les fonctions lui conviennent. L’article L. 1221-20 du code du travail consacre cette finalité. La rupture intervenue pendant cette période n’est pas soumise aux règles du licenciement et les parties n’ont pas à la motiver.
Le contrôle judiciaire se limite à la recherche d’un abus de droit, caractérisé lorsque les véritables motifs de la rupture sont sans relation avec l’aptitude professionnelle du salarié ou lorsque la rupture est mise en œuvre dans des conditions révélant une intention de nuire ou une légèreté blâmable. La charge de la preuve pèse sur le salarié.
La salariée produisait des attestations louant ses qualités humaines et professionnelles. L’employeur versait le compte rendu de la réunion du bureau ayant décidé, à la majorité des votants, de mettre fin à la période d’essai. La cour relève que les seuls témoignages favorables ne suffisent pas à établir que le véritable motif était étranger à l’aptitude professionnelle. Elle observe en outre que la rupture est intervenue plus de quatre mois après l’embauche, délai suffisamment long pour permettre à l’employeur d’apprécier les compétences du salarié.
Cette solution confirme le caractère discrétionnaire de la rupture de la période d’essai. L’employeur n’a pas à justifier sa décision dès lors qu’aucun détournement de la finalité de l’essai n’est démontré. Le salarié qui entend contester cette rupture doit rapporter la preuve positive d’un abus, simple allégation ne saurait y suffire.