Cour d’appel de Metz, le 17 juillet 2025, n°25/00443

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Metz le 17 juillet 2025 s’inscrit dans le contentieux de l’inscription au barreau des avocats européens souhaitant exercer sous leur titre d’origine. Un avocat inscrit au barreau de Luxembourg avait sollicité son inscription sur la liste spéciale du tableau du barreau de Sarreguemines afin d’y exercer à titre permanent. Le conseil de l’ordre avait rejeté cette demande au motif que le candidat aurait violé les principes essentiels de la profession en exerçant illégalement sur le territoire français alors qu’il n’était pas encore avocat de plein exercice dans son État d’origine.

Les faits de l’espèce révèlent qu’une première demande d’inscription avait été rejetée le 13 avril 2023 au motif que le candidat, alors inscrit sur la liste II du barreau luxembourgeois, ne justifiait pas du titre d’avocat de plein exercice. Une mise en demeure de cesser toute activité lui avait été adressée le 3 mai 2023 par le bâtonnier. Malgré ce refus, le candidat avait continué à représenter des clients devant plusieurs juridictions du ressort. Par la suite, ayant obtenu son inscription sur la liste I le 1er octobre 2024, il avait présenté une nouvelle demande d’inscription le 2 décembre 2024. Le conseil de l’ordre, après avoir convoqué le candidat le 28 janvier 2025 sans que celui-ci ne comparaisse, a rejeté cette demande en invoquant les manquements déontologiques antérieurs.

Le candidat a formé un recours devant la cour d’appel. Il soutenait à titre principal que son inscription devait être ordonnée dès lors qu’il produisait l’attestation requise par les textes. Le conseil de l’ordre opposait que les violations répétées des principes d’honneur, de loyauté et de confraternité justifiaient le refus d’inscription, le candidat ayant exercé sans y être habilité et créé une confusion sur son véritable statut.

La question posée à la cour était celle de savoir si le conseil de l’ordre peut refuser l’inscription d’un avocat européen souhaitant exercer sous son titre d’origine en invoquant des manquements déontologiques antérieurs, alors que celui-ci produit l’attestation d’inscription exigée par les textes.

La cour d’appel de Metz infirme la décision du conseil de l’ordre et ordonne l’inscription du candidat. Elle juge qu’« en se déterminant ainsi, alors que seule est requise la production de l’attestation mentionnée à l’article 84, mentionnée par la décision du conseil de l’ordre comme ayant été produite, ledit conseil de l’ordre a ajouté aux textes régissant l’examen de la candidature […] une condition qu’ils ne comportent pas caractérisant une interprétation erronée des textes ».

Cette décision invite à examiner les conditions de l’inscription des avocats européens sous leur titre d’origine (I) avant d’envisager la portée de la solution retenue par la cour (II).

I – Le caractère automatique de l’inscription de l’avocat européen sous son titre d’origine

La cour rappelle le principe d’une inscription de droit (A) tout en écartant l’appréciation déontologique préalable du conseil de l’ordre (B).

A – Le principe d’une inscription de droit sur production de l’attestation

Les articles 83 et 84 de la loi du 31 décembre 1971 organisent l’exercice en France de la profession d’avocat par les ressortissants européens sous leur titre professionnel d’origine. L’article 84 dispose que « cette inscription est de droit sur production d’une attestation délivrée par l’autorité compétente de l’Etat membre de l’Union européenne auprès de laquelle il est inscrit, établissant que ladite autorité lui reconnaît le titre ».

La cour constate que le candidat produisait un certificat émanant de son ordre attestant de son inscription au barreau de Luxembourg en qualité d’avocat à la cour. Le conseil de l’ordre lui-même avait admis dans sa décision que le candidat « justifie à la date de la demande du titre selon lequel il est avocat de plein exercice admis en liste I au barreau de Luxembourg ». La condition posée par l’article 84 était donc remplie.

Cette solution s’inscrit dans la logique de la directive 98/5/CE du 16 février 1998 relative au droit d’établissement des avocats. Ce texte européen vise à faciliter l’exercice permanent de la profession dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise. L’automaticité de l’inscription constitue le corollaire nécessaire de cette liberté d’établissement. Le législateur français a fait le choix de confier au seul État d’origine la vérification des conditions d’aptitude à l’exercice de la profession.

B – L’exclusion de toute condition supplémentaire par l’État d’accueil

Le conseil de l’ordre avait fondé son refus sur les manquements déontologiques reprochés au candidat. Il invoquait notamment la violation des principes d’honneur, de loyauté, de confraternité et de compétence. Il soutenait que le candidat avait exercé illégalement sur le territoire français entre 2023 et 2024 alors qu’il n’était pas encore avocat de plein exercice.

La cour écarte ce raisonnement en jugeant que le conseil de l’ordre « a ajouté aux textes régissant l’examen de la candidature […] une condition qu’ils ne comportent pas ». Cette formulation traduit une lecture stricte des conditions d’inscription. Le conseil de l’ordre ne dispose pas du pouvoir d’apprécier le comportement antérieur du candidat pour refuser son inscription dès lors que l’attestation est produite.

Cette position se distingue de celle applicable aux candidats à l’inscription classique au tableau. La jurisprudence admet en effet que le conseil de l’ordre puisse vérifier si le candidat remplit les conditions de moralité et d’aptitude requises. La cour ne conteste pas cette possibilité pour l’inscription ordinaire mais refuse de l’étendre à l’inscription sous titre d’origine. La distinction repose sur la lettre même des textes : l’article 84 prévoit une inscription « de droit » là où l’article 11 de la même loi énumère des conditions négatives permettant un contrôle plus étendu.

II – Les limites du contrôle exercé par l’État d’accueil

La décision révèle une tension entre le principe de libre établissement et la protection des principes essentiels de la profession (A), tout en laissant ouverte la question des moyens de contrôle postérieurs à l’inscription (B).

A – L’articulation délicate entre libre établissement et déontologie

Le conseil de l’ordre défendait une conception selon laquelle le respect des principes déontologiques constitue un préalable à toute inscription. Il invoquait l’article 202-1 du décret du 27 novembre 1991 qui soumet les avocats exerçant sous leur titre d’origine aux règles professionnelles de leur État d’origine et à celles applicables aux avocats français. Il en déduisait que le candidat ayant méconnu ces règles ne pouvait prétendre à l’inscription.

La cour ne répond pas directement à cet argument. Elle se borne à constater que l’article 84 ne prévoit aucune vérification préalable des conditions déontologiques. Cette solution peut surprendre au regard de la gravité des faits invoqués. Le conseil de l’ordre reprochait au candidat d’avoir exercé sans y être habilité, d’avoir créé une confusion sur son statut et d’avoir mis en péril les intérêts de ses clients en les privant d’une garantie d’assurance.

La directive 98/5/CE elle-même prévoit pourtant que l’avocat exerçant sous son titre d’origine est soumis aux règles professionnelles de l’État d’accueil. Son article 6 dispose que cet avocat est « tenu de respecter non seulement les règles professionnelles et déontologiques de son État membre d’origine mais aussi celles de l’État membre d’accueil ». La question demeure de savoir si cette soumission peut être contrôlée a priori ou seulement a posteriori.

B – Les voies de contrôle postérieures à l’inscription

La décision ne laisse pas le conseil de l’ordre démuni face aux comportements contraires à la déontologie. L’article 84 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que « la privation temporaire ou définitive du droit d’exercer la profession dans l’Etat où le titre a été acquis entraîne le retrait temporaire ou définitif du droit d’exercer ». Le conseil de l’ordre conserve également ses pouvoirs disciplinaires une fois l’avocat inscrit.

L’article 202-2 du décret du 27 novembre 1991 organise la procédure disciplinaire applicable aux avocats exerçant sous leur titre d’origine. Ces dispositions prévoient une coopération entre l’État d’origine et l’État d’accueil. Le conseil de l’ordre de l’État d’accueil peut engager des poursuites disciplinaires et prononcer des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de l’inscription.

La solution retenue par la cour d’appel de Metz repose ainsi sur une distinction temporelle. Le contrôle déontologique ne peut s’exercer qu’après l’inscription. Les manquements antérieurs, fussent-ils graves, ne constituent pas un obstacle à l’inscription dès lors que le candidat produit l’attestation requise. Cette interprétation préserve l’effectivité du droit d’établissement mais reporte sur la procédure disciplinaire la charge de sanctionner les comportements fautifs. Elle suppose que le conseil de l’ordre de l’État d’accueil engage effectivement des poursuites s’il estime que les faits reprochés le justifient.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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