Cour d’appel de Montpellier, le 10 septembre 2025, n°23/03637

La cour d’appel de Montpellier, par un arrêt du 10 septembre 2025, se prononce sur la validité d’une convention de forfait en jours et les conséquences d’un licenciement contesté par un cadre supérieur. Cette décision illustre les exigences rigoureuses entourant le régime du forfait-jours, tout en rappelant les contours de l’appréciation du bien-fondé d’un licenciement disciplinaire.

Un salarié, engagé le 1er avril 2009, occupait en dernier lieu les fonctions de vice-président au sein d’une société spécialisée dans les communications numériques. Son contrat prévoyait un forfait annuel de 215 jours travaillés pour une rémunération mensuelle brute de 8 628 euros. Le 15 mars 2019, il fut convoqué à un entretien préalable puis licencié le 2 avril 2019, l’employeur lui reprochant un désengagement professionnel, des absences injustifiées et un manque de visibilité auprès de ses équipes.

Le salarié saisit le conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par jugement du 15 mai 2023, fit droit à l’essentiel de ses demandes, condamnant l’employeur au paiement d’heures supplémentaires, d’un rappel de prime et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur interjeta appel, sollicitant l’infirmation du jugement et le rejet des prétentions adverses. Le salarié forma appel incident, réclamant notamment une indemnité pour travail dissimulé.

La cour devait déterminer si la convention de forfait en jours était valide, si des heures supplémentaires étaient dues et si le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel de Montpellier infirme partiellement le jugement. Elle prononce la nullité de la convention de forfait en jours, faute d’accord collectif applicable à la société employeur. Elle condamne l’employeur au paiement de 58 693 euros brut d’heures supplémentaires outre les congés payés afférents, d’un reliquat de prime d’objectifs de 5 265,82 euros et de 50 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle rejette la demande d’indemnité pour travail dissimulé ainsi que celle relative au caractère vexatoire du licenciement.

Cet arrêt mérite examen tant au regard de l’encadrement strict du forfait-jours et de ses conséquences indemnitaires (I) que de l’appréciation judiciaire du bien-fondé du licenciement disciplinaire (II).

I. L’invalidation de la convention de forfait en jours et ses répercussions

La cour sanctionne l’absence d’accord collectif applicable (A) avant de liquider les créances salariales qui en découlent (B).

A. L’exigence d’un accord collectif propre à l’entité employeur

La cour relève que « l’accord collectif du 19 novembre 2014 a été conclu par la société Arkadin et les organisations syndicales et s’applique à l’ensemble des salariés de la société ARKADIN SAS ». Elle constate ensuite que le salarié, depuis le 1er février 2013, relevait d’une autre entité juridique, la société Arkadin International. L’accord collectif fondant la convention de forfait ne lui était donc pas applicable.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui exige, pour la validité d’une convention de forfait en jours, l’existence d’un accord collectif applicable au salarié concerné. La chambre sociale veille à ce que les stipulations de cet accord assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. L’arrêt applique cette exigence avec rigueur en refusant d’étendre le bénéfice d’un accord conclu par une société distincte à une filiale, fût-elle appartenant au même groupe.

La portée de cette décision réside dans l’attention portée à l’identité précise de l’employeur. Un transfert conventionnel de contrat de travail emporte changement d’employeur et rompt le lien avec les accords collectifs de l’entité d’origine. L’employeur ne saurait se prévaloir d’accords auxquels il n’est pas partie pour fonder une convention de forfait. Cette exigence formelle protège le salarié contre une application extensive du forfait-jours, régime dérogatoire au droit commun de la durée du travail.

B. Les conséquences financières de la nullité du forfait

La nullité de la convention de forfait ouvre droit au paiement des heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale. La cour précise qu’il « appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement ».

Le salarié produit la copie de son agenda, des captures d’écran de messages électroniques et un récapitulatif de ses horaires. La cour juge ces éléments « suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre ». Elle évalue ensuite souverainement le quantum des heures supplémentaires à 58 693 euros brut, après déduction des jours de réduction du temps de travail indûment accordés.

En revanche, la cour rejette la demande d’indemnité pour travail dissimulé, estimant que « le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi ne peut se déduire de la seule nullité d’une convention individuelle de forfait en jours ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence établie qui distingue l’irrégularité formelle de l’intention frauduleuse. La nullité du forfait constitue une erreur juridique, non nécessairement une volonté délibérée de minorer les heures travaillées sur les bulletins de paie.

II. Le contrôle judiciaire du licenciement disciplinaire

La cour examine les griefs invoqués par l’employeur (A) avant de déterminer l’indemnisation du préjudice subi (B).

A. L’absence de preuve des manquements allégués

La lettre de licenciement reprochait au salarié un désengagement professionnel, des absences fréquentes et un manque de visibilité auprès de ses équipes. La cour confronte ces allégations aux entretiens d’évaluation versés aux débats.

Elle relève que lors de l’entretien du 3 octobre 2017, l’employeur avait souligné qu’il avait « fait un excellent travail » et qu’il avait « pleinement confiance dans la capacité de [E] à mener sa nouvelle équipe au succès ». L’entretien du 21 septembre 2018 mentionnait quant à lui que « son niveau d’engagement accru lors de la dernière réunion du comité de pilotage a été remarqué et va dans la bonne direction ».

Seul l’entretien du 15 mars 2019, contemporain de la procédure de licenciement, formule des critiques. La cour observe que cette dernière remarque « n’émane que » de l’employeur, sans être corroborée par d’autres éléments. Elle constate que « l’employeur ne produit aucun élément pour étayer ses affirmations quant à l’impact de l’attitude dénoncée sur l’activité et l’ambiance de l’entreprise ».

À l’inverse, le salarié produit l’attestation d’un collègue évoquant une collaboration satisfaisante et des échanges de messages électroniques démontrant son implication dans l’évolution de la société. La cour en déduit qu’il n’est établi « ni qu’il se soit délibérément désengagé de son poste ou ne s’impliquait pas dans son travail, ni même qu’il aurait fait preuve d’une insuffisance professionnelle ».

B. La détermination de l’indemnisation du salarié

La cour applique les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail issues de l’ordonnance du 22 septembre 2017, communément dénommé barème Macron. Elle affirme que ces dispositions « sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail ».

Cette position rejoint celle adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 11 mai 2022, qui ont définitivement consacré la compatibilité du barème avec les engagements internationaux de la France. La cour d’appel de Montpellier s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle en refusant d’écarter le plafonnement légal.

Elle alloue au salarié la somme de 50 000 euros brut, tenant compte de son ancienneté de dix années, de sa rémunération, de sa situation familiale et du fait qu’il a retrouvé une activité en créant son entreprise le 10 avril 2020. Cette somme se situe dans la fourchette haute du barème applicable.

La cour rejette en revanche la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, faute de démonstration d’une faute distincte de l’employeur dans les circonstances de la rupture ou d’un préjudice distinct de celui né de la perte d’emploi. Cette solution rappelle que l’indemnisation du caractère vexatoire suppose la preuve d’un comportement fautif spécifique, indépendant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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