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L’arrêt rendu le 19 juin 2025 par la cour d’appel de Montpellier statue sur les conditions d’autorisation d’une mesure conservatoire, en particulier sur l’exigence de démonstration des circonstances menaçant le recouvrement d’une créance. Cette décision s’inscrit dans le contentieux des voies d’exécution et précise les critères d’appréciation du juge saisi d’une demande d’hypothèque judiciaire provisoire.
Une personne a été blessée le 18 mars 2018 lors d’une manifestation équestre organisée sur le territoire d’une commune. Deux chevaux de trait, effrayés, ont pris la fuite en emportant les barrières auxquelles ils étaient attachés, blessant gravement la victime. Celle-ci a engagé plusieurs actions en responsabilité. Par un arrêt du 15 avril 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse a retenu la responsabilité partielle de la commune à hauteur de trente pour cent, indiquant que les chevaux étaient sous la garde du maréchal-ferrant exposant au sein de la manifestation. La victime a par ailleurs saisi le tribunal judiciaire de Montpellier d’une action au fond contre plusieurs défendeurs, dont le maréchal-ferrant, sur le fondement de l’article 1243 du code civil.
Le 14 novembre 2024, la victime a présenté une requête au juge de l’exécution aux fins d’obtenir l’autorisation de prendre une hypothèque judiciaire provisoire sur les biens immobiliers du maréchal-ferrant, évaluant provisoirement sa créance à 228 353,89 euros. Par ordonnance du 15 novembre 2024, le juge de l’exécution a rejeté cette demande. Le 4 décembre 2024, il a refusé de rétracter son ordonnance. La victime a interjeté appel.
La question posée à la cour d’appel était de déterminer si une créance indemnitaire dont le principe paraît établi par une décision administrative retenant la responsabilité d’un tiers gardien suffit à justifier l’inscription d’une hypothèque provisoire, ou si le créancier doit en outre rapporter la preuve de circonstances concrètes menaçant le recouvrement.
La cour d’appel de Montpellier confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions. Elle relève que la requérante « ne produit aucune pièce relative à la situation financière et patrimoniale » du débiteur et « affirme sans l’établir » l’absence de couverture assurantielle. Elle ajoute que « les menaces au recouvrement de la créance ne peuvent se déduire du montant élevé de celle-ci ». Les conditions de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution étant cumulatives, la cour juge qu’il n’y a pas lieu d’examiner le caractère fondé en son principe de la créance pour confirmer le rejet.
Cette décision invite à examiner successivement le rappel du cadre légal des mesures conservatoires et l’exigence cumulative des conditions (I), puis l’appréciation souveraine du juge quant à la preuve de la menace au recouvrement (II).
I. Le cadre légal des mesures conservatoires et l’exigence cumulative des conditions
L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution pose les fondements du régime applicable aux mesures conservatoires (A), tandis que la cour rappelle la méthode d’appréciation du juge saisi d’une telle demande (B).
A. Les conditions légales de l’hypothèque judiciaire provisoire
L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ». Ce texte pose deux conditions distinctes. La créance doit paraître fondée en son principe. Le créancier doit établir l’existence de circonstances menaçant le recouvrement.
La cour d’appel de Montpellier rappelle fidèlement ce cadre normatif. Elle souligne que le juge examine « l’apparence du principe de créance – et non la certitude, la liquidité, l’exigibilité ou le montant de la créance ». Cette formulation traduit l’exigence d’un contrôle allégé quant au fond du droit. Le législateur n’a pas entendu subordonner la mesure conservatoire à une vérification approfondie de la créance. Seule une vraisemblance suffit à ce stade.
Cette souplesse quant au principe de la créance trouve sa contrepartie dans la seconde condition. Le créancier doit démontrer positivement une menace pesant sur le recouvrement. Les deux exigences ne sont pas alternatives. Elles sont cumulatives. L’arrêt le rappelle expressément en indiquant que « les conditions de l’article L.511-1 du code des procédures civiles d’exécution étant cumulatives, il n’y a pas lieu d’examiner le caractère fondé en son principe de la créance pour confirmer l’ordonnance déférée ».
Cette économie de moyens manifeste une conception rigoureuse du contrôle juridictionnel. Le juge n’a pas à se prononcer sur une condition dès lors que l’autre fait défaut. Cette approche préserve les droits du débiteur contre des mesures conservatoires insuffisamment justifiées.
B. La position du juge de l’exécution et du juge d’appel
La cour précise que le juge saisi d’un recours « se place dans la même position que le juge qui a autorisé la mesure ». Cette affirmation mérite attention. Elle signifie que la cour d’appel ne procède pas à un contrôle de la régularité de la décision du premier juge. Elle réexamine les conditions au jour où elle statue. Ce contrôle entier garantit une appréciation actualisée des éléments de fait et de droit.
Cette position du juge d’appel s’inscrit dans la logique de l’effet dévolutif de l’appel. Le juge statue sur l’ensemble du litige tel qu’il se présente au moment de sa décision. Les circonstances peuvent avoir évolué depuis l’ordonnance initiale. De nouveaux éléments peuvent être produits. La cour doit les prendre en considération.
En l’espèce, la cour constate que l’appelante n’a produit aucun élément nouveau de nature à établir la menace au recouvrement. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Toulouse intervenu entre-temps, s’il retient un partage de responsabilité, ne modifie pas l’appréciation des circonstances menaçant le recouvrement. La décision confirme ainsi l’ordonnance du juge de l’exécution.
II. L’appréciation de la menace au recouvrement et la charge de la preuve
La cour examine les éléments avancés par la requérante pour justifier la menace au recouvrement (A), avant de tirer les conséquences de l’insuffisance probatoire constatée (B).
A. L’insuffisance des éléments de preuve produits
La requérante invoquait deux circonstances pour établir la menace au recouvrement. Elle soutenait d’abord que le débiteur n’avait pas souscrit d’assurance couvrant sa responsabilité. Elle faisait valoir ensuite le montant élevé de sa créance.
Sur le premier point, la cour relève que l’appelante « affirme sans l’établir » l’absence de couverture assurantielle. Cette formulation souligne le défaut de preuve. En matière civile, la charge de la preuve incombe au demandeur conformément à l’article 1353 du code civil. La simple allégation ne suffit pas. Le créancier sollicitant une mesure conservatoire doit produire des éléments objectifs démontrant les circonstances invoquées.
L’absence de justificatifs relatifs à la situation financière et patrimoniale du débiteur aggrave cette insuffisance. La cour note que la requérante « ne produit aucune pièce » sur ce point. Or la menace au recouvrement suppose une démonstration concrète. L’insolvabilité du débiteur, la dissipation de ses actifs, le risque de transfert de patrimoine constituent des indices pertinents. Rien de tel n’était établi en l’espèce.
Sur le second argument, la cour écarte de manière nette la prétention selon laquelle le montant élevé de la créance constituerait en soi une circonstance menaçante. Elle énonce que « les menaces au recouvrement de la créance ne peuvent se déduire du montant élevé de celle-ci ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante. Admettre le contraire reviendrait à présumer la menace dès que la créance atteint un certain seuil. Cela dénaturerait l’équilibre du texte.
B. Les conséquences de l’absence de démonstration
L’arrêt tire toutes les conséquences de l’insuffisance probatoire. La condition relative à la menace au recouvrement n’étant pas remplie, la mesure conservatoire ne peut être autorisée. La cour confirme l’ordonnance sans examiner la condition relative au principe de la créance.
Cette approche présente l’avantage de la clarté. Elle évite à la cour de se prononcer prématurément sur le fond d’un litige pendant devant le tribunal judiciaire. La question de la responsabilité du maréchal-ferrant sur le fondement de l’article 1243 du code civil reste ouverte. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Toulouse ne lie pas le juge judiciaire. Il constitue tout au plus un indice de la vraisemblance du principe de la créance.
La portée de cette décision dépasse le cas d’espèce. Elle rappelle aux praticiens l’importance de constituer un dossier probatoire solide avant de solliciter une mesure conservatoire. La production d’éléments sur la situation patrimoniale du débiteur, sur son comportement, sur l’existence ou l’absence de garanties apparaît indispensable. Les simples affirmations et déductions logiques ne suffisent pas à caractériser la menace au recouvrement.
La condamnation de l’appelante aux dépens sanctionne l’échec de son recours. Cette issue confirme que le régime des mesures conservatoires, s’il offre au créancier un instrument de protection anticipée, n’est pas exempt d’exigences probatoires strictes.