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L’obligation de déplacer un ouvrage électrique implanté sur le terrain d’autrui, lorsqu’elle résulte d’un contrat librement conclu entre le propriétaire et le gestionnaire du réseau, soulève la question de la nature juridique du droit d’occupation initialement concédé. La cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 10 juillet 2025, apporte des précisions utiles sur l’articulation entre convention d’occupation ancienne et obligations contractuelles nouvelles.
Une société avait acquis en 2019 un ensemble de parcelles sur lesquelles était implanté un poste de transformation électrique depuis 1972. L’acte authentique d’origine avait concédé à la société nationale d’électricité un droit d’occupation pour toute la durée de la concession de distribution d’énergie accordée à cette entreprise. Le nouveau propriétaire, souhaitant réaliser un projet immobilier commercial, a accepté un devis de déplacement d’ouvrage en janvier 2019 moyennant le versement de plus de cinquante mille euros. Les travaux n’ayant pas été réalisés dans le délai contractuel de vingt-huit semaines, le promoteur a assigné le gestionnaire de réseau en annulation des contrats et en indemnisation.
Le tribunal judiciaire d’Alès, par jugement du 13 février 2024, a rejeté les demandes d’annulation des contrats mais condamné le gestionnaire de réseau à verser plus de cent cinquante-cinq mille euros de dommages et intérêts au titre de l’inexécution contractuelle. Il a également condamné le promoteur à payer le solde des factures restées impayées. Le gestionnaire de réseau a interjeté appel, contestant sa condamnation indemnitaire. Le promoteur a formé appel incident, maintenant sa demande d’annulation des contrats.
Devant la cour, le promoteur soutenait principalement que la convention d’occupation de 1972 ne comportant aucune durée déterminée, elle pouvait être dénoncée unilatéralement, de sorte que le paiement du déplacement était dénué de contrepartie réelle. Il invoquait subsidiairement l’extinction du droit réel après trente ans en application des articles 619 et 625 du code civil. Le gestionnaire de réseau répliquait que la convention stipulait un maintien du droit d’occupation pendant toute la durée du contrat de concession et qu’elle était opposable à l’acquéreur.
La question posée à la cour était double. D’abord, une convention d’occupation conclue pour la durée d’une concession de service public constitue-t-elle un engagement perpétuel susceptible de résiliation unilatérale ? Ensuite, le gestionnaire de réseau avait-il manqué à ses obligations contractuelles de manière à engager sa responsabilité ?
La cour d’appel de Nîmes confirme le rejet de la demande d’annulation des contrats et infirme la condamnation indemnitaire du gestionnaire de réseau. Elle juge que la convention d’occupation n’a pas été conclue à durée indéterminée dès lors que sa durée dépendait de celle de la concession de distribution d’énergie électrique. Elle retient que si une faute contractuelle est caractérisée pour le premier devis, le promoteur ne démontre pas le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué.
Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise d’abord la nature juridique des conventions d’occupation liées aux concessions de service public (I), avant d’illustrer les exigences probatoires en matière de responsabilité contractuelle (II).
I. La qualification juridique du droit d’occupation lié à une concession de service public
La cour procède à une analyse rigoureuse de la nature du droit concédé (A), pour en déduire son opposabilité aux acquéreurs successifs du terrain (B).
A. Le rejet de la qualification d’engagement perpétuel
Le promoteur fondait sa demande d’annulation sur l’absence de terme de la convention de 1972, arguant qu’un engagement à durée indéterminée peut être dénoncé unilatéralement. La cour écarte cette analyse en relevant que « le droit d’occupation dont la société Enedis bénéficiait sur la parcelle (…) n’a pas été concédé à titre perpétuel dès lors que sa durée dépendait de celle de la concession de distribution d’énergie électrique ».
Cette motivation s’appuie sur le droit européen de l’énergie. La cour cite la directive 2009/72/CE dont l’article 24 prévoit que les États membres désignent les gestionnaires de réseau « pour une durée à déterminer (…) en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique ». Elle rappelle également la jurisprudence administrative ayant jugé qu’il « appartient à chaque (délégant), sous le contrôle du juge, de fixer un terme à la concession ».
Le raisonnement est juridiquement fondé. L’engagement perpétuel prohibé par le droit civil suppose une indétermination absolue de la durée. Or, lier la durée d’un droit d’occupation à celle d’une concession administrative revient à lui conférer un terme certain, même si sa date exacte n’est pas fixée. La durée de la concession constitue un événement futur et certain qui déterminera l’extinction du droit.
Cette solution présente l’avantage de la cohérence avec le droit des contrats administratifs. Les concessions de service public obéissent à un régime de durée encadré par le droit de la commande publique, comme le rappelle la cour en citant l’article R. 3114-1 du code de la commande publique. Admettre qu’une convention accessoire à une telle concession puisse être résiliée unilatéralement par le propriétaire du terrain compromettrait l’exécution même du service public.
B. L’opposabilité de la convention à l’acquéreur du terrain
La cour constate que la convention d’occupation « a été publiée au service de la publicité foncière de [Localité] le 10 novembre 1972 » et qu’elle était mentionnée « en toutes lettres à l’acte de vente du 8 mars 2019 ». Elle en déduit que cette convention était « opposable à la société [Z] Promotion ».
L’opposabilité résulte ici de deux fondements cumulatifs. D’une part, la publication au fichier immobilier assure l’information des tiers. D’autre part, la mention expresse dans l’acte d’acquisition établit la connaissance effective de l’acquéreur. La cour relève que l’acte précisait au chapitre « Charges et conditions générales » l’existence de cette convention et qu’une copie y était annexée.
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence classique relative aux charges réelles. Le droit d’occupation concédé au gestionnaire de réseau, s’il ne constitue pas une servitude au sens strict des articles 637 et suivants du code civil, s’analyse comme une charge grevant l’immeuble. L’acquéreur qui en a connaissance ne peut prétendre l’ignorer pour en contester les effets.
La conséquence pratique est significative. Le nouveau propriétaire ne pouvait obtenir gratuitement le déplacement de l’ouvrage électrique au motif d’une prétendue faculté de résiliation unilatérale. Les contrats conclus avec le gestionnaire de réseau pour le déplacement de cet ouvrage avaient donc bien une cause réelle et licite.
II. L’exigence d’un lien de causalité direct entre la faute contractuelle et le préjudice
La cour caractérise une inexécution contractuelle partielle (A), mais refuse d’indemniser un préjudice dont le lien causal n’est pas établi (B).
A. La caractérisation d’une faute contractuelle limitée dans le temps
La cour analyse successivement l’exécution des différents devis acceptés par le promoteur. Pour le premier devis du 18 janvier 2019, elle relève que le délai de vingt-huit semaines « expirait le 2 août 2019 » à compter de la signature, ou « le 13 août 2019 » à compter de l’encaissement de l’acompte. Or, à la date du 24 septembre 2019, le gestionnaire de réseau informait le promoteur que « le poste (…) ne serait livré que le 28/10 ».
La cour en déduit que « sa faute dans l’exécution des travaux de déplacement d’ouvrage auxquels elle s’était engagée selon devis accepté le 18 janvier 2019 est donc caractérisée ». Le gestionnaire de réseau ne pouvait invoquer les réserves contractuelles relatives aux « circonstances imprévisibles » puisque ces difficultés n’étaient survenues qu’après l’expiration du délai convenu.
En revanche, pour le second devis de déplacement du 6 décembre 2019, la cour constate que la facture du 24 janvier 2020 démontre l’exécution des prestations dans le nouveau délai de vingt-huit semaines expirant le 19 juin 2020. Le gestionnaire de réseau a donc exécuté cette seconde obligation dans les temps.
Cette distinction temporelle est déterminante pour l’appréciation du préjudice. La faute contractuelle se limite à la période comprise entre mi-août 2019 et fin janvier 2020, soit environ cinq mois. Le premier juge avait retenu une période de onze mois sans justification suffisante.
B. L’absence de preuve du lien causal avec le préjudice locatif allégué
Le promoteur réclamait l’indemnisation d’un retard de trois mois dans la location de huit cellules commerciales. La cour infirme la condamnation prononcée en première instance en relevant que le promoteur « ne démontre pas (…) le lien de causalité direct et certain entre le préjudice allégué consistant dans le retard de location des cellules commerciales (…) et le retard dans l’exécution de cette prestation initiale ».
Le raisonnement de la cour s’appuie sur la complexité technique de l’opération. Le second devis de décembre 2019 portait sur « la fourniture d’un nouveau poste » et d’un « nouveau transformateur », distinct de l’ancien poste dont le déplacement avait été initialement commandé. Le promoteur avait accepté cette modification substantielle de la prestation.
La cour relève l’absence de « distinction entre les cellules bénéficiaires de cette nouvelle prestation de raccordement au réseau électrique et celles qui devaient bénéficier de la prestation initiale de déplacement ». Cette confusion empêche d’établir quelles cellules auraient pu être mises en location plus tôt si le premier devis avait été exécuté dans les délais.
Cette exigence probatoire est conforme aux principes de la responsabilité contractuelle. Le préjudice réparable doit être la conséquence directe et certaine de l’inexécution. Lorsque plusieurs causes ont pu contribuer au dommage et que la victime ne distingue pas leurs effets respectifs, elle ne satisfait pas à la charge de la preuve qui lui incombe.
La solution présente une portée pratique pour les opérations immobilières complexes. Le maître d’ouvrage qui modifie en cours d’exécution le périmètre des prestations commandées doit conserver une traçabilité suffisante pour pouvoir, le cas échéant, démontrer l’impact précis de chaque retard sur son exploitation.