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L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 19 juin 2025 illustre les difficultés probatoires auxquelles se heurtent les victimes d’actes médicaux lorsque leur propre comportement a contribué à la réalisation du dommage. Une patiente souffrant d’obésité avait subi une intervention de chirurgie bariatrique, à la suite de laquelle elle développa une dénutrition sévère et des troubles neurologiques carentiels. Elle recherchait la responsabilité du chirurgien et de la psychologue ayant réalisé l’évaluation préopératoire, leur reprochant de ne pas avoir identifié ses antécédents psychiatriques qui auraient dû contre-indiquer l’intervention.
Les faits remontent au 7 juin 2014, date à laquelle un chirurgien réalisa sous coelioscopie un by-pass gastrique sur une patiente présentant un indice de masse corporelle de 46,9. Préalablement à cette intervention, celle-ci avait été reçue par une psychologue clinicienne dans le cadre de son évaluation psychologique préopératoire. Elle fut hospitalisée en urgence le 3 juillet 2014 pour déshydratation aiguë provoquée par des vomissements à répétition, puis admise en établissement psychiatrique le 21 août suivant. Des troubles de la marche apparurent, attribués à une neuropathie carentielle consécutive à un refus de s’alimenter et à une non-observance des traitements prescrits.
Après avoir saisi la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux qui se déclara incompétente, la patiente et son époux assignèrent le chirurgien et la psychologue devant le tribunal judiciaire de Privas. Les demandeurs soutenaient que les professionnels de santé avaient commis une faute en pratiquant l’intervention sans avoir décelé les contre-indications psychiatriques existantes. Le tribunal les débouta de l’ensemble de leurs demandes par jugement du 25 avril 2023, retenant l’absence de faute des praticiens. La patiente et son époux interjetèrent appel de cette décision.
La question posée à la cour était de déterminer si les professionnels de santé avaient manqué à leur obligation de diligence en ne découvrant pas les antécédents psychiatriques de la patiente lors de la phase préopératoire, alors que celle-ci ne les avait pas révélés.
La cour d’appel de Nîmes confirma le jugement en toutes ses dispositions. Elle retint que « la patiente n’ayant pas signalé ses antécédents psychiatriques il n’était pas possible pour le praticien d’identifier les contre-indications psychiatriques éventuelles à la chirurgie ». Elle jugea également que la psychologue avait réalisé une évaluation « conforme aux recommandations de bonnes pratiques » et qu’il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir mis en évidence des antécédents que la patiente avait omis de mentionner.
Cet arrêt mérite examen tant au regard de l’étendue de l’obligation de diligence des professionnels de santé face au silence du patient (I) que des limites de l’évaluation psychologique préopératoire en chirurgie bariatrique (II).
I. L’obligation de diligence du chirurgien confrontée à la réticence du patient
La responsabilité médicale suppose la démonstration d’une faute dont le praticien doit répondre. Le chirurgien ne saurait cependant être tenu de découvrir ce que le patient lui dissimule délibérément (A), ce qui conduit à relativiser l’exigence de concertation pluridisciplinaire lorsque les informations essentielles font défaut (B).
A. L’impossibilité d’imputer au praticien l’ignorance d’antécédents volontairement celés
L’article L. 1142-1 du code de la santé publique subordonne la responsabilité des professionnels de santé à la démonstration d’une faute. La cour rappelle ce principe fondamental avant d’examiner si le chirurgien avait failli à ses obligations.
L’expertise établissait que la patiente présentait un état antérieur psychiatrique caractérisé par « un trouble de la personnalité sur fond d’immaturité diagnostiqué en 2000, avec manifestations caractérielles, thymiques et anxieuses ». Elle avait été hospitalisée à deux reprises en établissement psychiatrique, notamment pour troubles du comportement alimentaire. Le sapiteur psychiatre concluait que « son état psychiatrique antérieur était une contre-indication à l’intervention chirurgicale litigieuse dès lors que rien n’établissait que son trouble de la personnalité ait été stabilisé ».
La cour relève néanmoins que cette pathologie « est restée totalement ignorée du chirurgien en dépit des investigations réalisées au cours de la phase pré-opératoire ». La patiente avait rencontré successivement un anesthésiste, un gastro-entérologue, un cardiologue, un pneumologue et un spécialiste en nutrition sans jamais évoquer ses antécédents psychiatriques. Son médecin traitant lui-même avait certifié qu’elle ne présentait pas de contre-indication à une chirurgie bariatrique.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle le praticien ne peut être tenu responsable des conséquences d’informations que le patient lui a volontairement dissimulées. L’obligation de moyens qui pèse sur le médecin trouve sa limite dans la collaboration nécessaire du patient à sa propre prise en charge. Le devoir d’information fonctionne dans les deux sens : si le médecin doit informer le patient des risques de l’intervention, le patient doit réciproquement informer le médecin de ses antécédents pertinents.
B. La relativité de l’exigence de concertation pluridisciplinaire en l’absence d’éléments d’alerte
Les appelants reprochaient au chirurgien de ne pas avoir organisé une réunion de concertation pluridisciplinaire formelle avec établissement d’une fiche RCP, conformément aux préconisations de la Haute Autorité de Santé. Ils soutenaient également qu’il aurait dû échanger directement avec la psychologue après réception de son compte-rendu.
La cour écarte ces arguments de manière pragmatique. Elle observe que « les appelants ne démontrent pas que l’organisation d’une réunion de concertation pluridisciplinaire et l’établissement d’une fiche RCP auraient pu favoriser la révélation de ces antécédents que la patiente n’a évoqués devant aucun des membres de l’équipe pluridisciplinaire ».
La mention par la psychologue de l’intérêt d’un accompagnement psychologique postopératoire ne constituait pas davantage un signal d’alerte. La cour souligne que « ce passage ne pouvait permettre au chirurgien de soupçonner une pathologie psychiatrique préexistante dès lors que la psychologue avait expressément écarté au début de son compte-rendu l’existence de toute pathologie psychiatrique sévère ». Le suivi préconisé visait seulement à accompagner les bouleversements induits par l’intervention, recommandation banale en chirurgie bariatrique.
Cette analyse révèle les limites d’une approche purement formelle des obligations procédurales. Le respect scrupuleux des recommandations de bonnes pratiques ne garantit pas la détection d’informations que le patient refuse de communiquer. La concertation pluridisciplinaire n’a de sens que si chaque intervenant dispose des données nécessaires à son évaluation.
II. Les limites de l’évaluation psychologique préopératoire
L’évaluation psychologique constitue une étape obligatoire du parcours préopératoire en chirurgie bariatrique. Son efficacité dépend toutefois de la sincérité du patient lors de l’entretien (A), ce qui conduit à s’interroger sur la portée de l’obligation de moyens pesant sur le psychologue évaluateur (B).
A. La dépendance de l’évaluation à la parole du patient
La Haute Autorité de Santé recommande que l’évaluation psychologique préopératoire permette notamment d’identifier les contre-indications psychiatriques à la chirurgie bariatrique, telles que les troubles mentaux sévères ou les comportements d’addiction. Cette mission suppose que le professionnel dispose des informations nécessaires à son appréciation.
La psychologue avait indiqué à l’expert que son rôle consistait « à recueillir la parole du patient lors d’un entretien lui permettant de décrire l’histoire de son obésité et de repérer des troubles comportementaux et des traumatismes psychologiques ». La cour précise que « sa source essentielle d’information a été la parole de la patiente qu’elle ne s’est pas contentée de recueillir mais a analysée pour y déceler des indices de troubles psychiatriques ou comportementaux ».
Lors de l’entretien, la patiente « s’exprimait avec un discours réfléchi et cohérent autour de la question de l’opération et des changements qu’elle allait induire ». Elle se montrait prête à vivre cette opération et exprimait peu d’appréhension. Ces éléments ne permettaient pas de suspecter l’existence d’antécédents psychiatriques lourds.
La cour valide ainsi l’approche de l’expert selon laquelle il ne pouvait être reproché à la psychologue de ne pas avoir mis en évidence des antécédents que la patiente avait omis de mentionner. Cette conclusion soulève néanmoins une interrogation : l’évaluation psychologique préopératoire peut-elle se réduire à l’analyse d’un entretien unique sans investigation complémentaire ?
B. L’absence de moyens alternatifs de détection imposés au psychologue
Les appelants critiquaient l’expertise en ce qu’elle considérait que la psychologue ne disposait pas de moyens d’aller au-delà de ce que la patiente lui avait confié oralement. Ils estimaient qu’un professionnel spécialisé devait pouvoir déceler l’existence de troubles mentaux avérés dans le cadre d’une évaluation préalable à une chirurgie proposée à des patients rencontrant par définition des troubles du comportement alimentaire.
La cour rejette cet argument en relevant que « les appelants ne précisent pas les moyens autres que le recueil des propos tenus par la patiente lors de l’entretien que la psychologue aurait dû mettre en œuvre ». Cette observation met en lumière la difficulté de définir positivement le contenu de l’obligation de moyens du psychologue évaluateur.
Les recommandations de la Haute Autorité de Santé prévoient certes plusieurs items à vérifier lors de l’évaluation préopératoire. Les appelants soutenaient que le compte-rendu ne permettait pas de vérifier le respect de l’ensemble de ces items. La cour écarte ce moyen comme inopérant au motif que les demandeurs ne démontrent pas l’existence d’un lien de causalité entre ces manquements allégués et le dommage.
Cette exigence probatoire supplémentaire achève de fermer la voie à l’indemnisation. Même à supposer que certains items n’aient pas été vérifiés, encore faudrait-il établir que leur examen aurait permis de révéler les antécédents dissimulés. Or la patiente avait délibérément choisi de ne pas les évoquer, de sorte que des investigations complémentaires se seraient heurtées au même obstacle.
L’arrêt témoigne ainsi des limites inhérentes à l’évaluation psychologique préopératoire lorsque le patient adopte une attitude de dissimulation active. La multiplication des consultations et des évaluations ne peut suppléer l’absence de collaboration du patient à sa propre prise en charge.