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La Cour d’appel de Nîmes, par un arrêt avant-dire droit du 2 juillet 2025, a été amenée à se prononcer sur plusieurs questions procédurales dans le cadre d’un litige relatif à l’indemnisation d’un sinistre de catastrophe naturelle. Cette décision illustre les exigences du respect du contradictoire et la vigilance des juridictions quant aux conditions de recevabilité de l’appel.
Une maison d’habitation, acquise en 1994 et assurée auprès d’une compagnie d’assurance par un contrat multirisques habitation couvrant le risque de catastrophe naturelle, a subi des désordres. Le propriétaire est décédé en 2020, laissant son épouse usufruitière et deux enfants nus-propriétaires. Par acte du 12 juin 2024, les héritiers ont assigné l’assureur en référé aux fins d’obtenir une expertise judiciaire et une provision de 92 250,36 euros.
Le président du tribunal judiciaire de Nîmes, par ordonnance du 4 septembre 2024, a ordonné l’expertise et condamné l’assureur au paiement de la provision sollicitée. L’assureur a interjeté appel le 2 octobre 2024, contestant exclusivement le montant de la provision. Devant la cour, il a sollicité la réduction de celle-ci à 32 933,80 euros, invoquant des erreurs de calcul dans sa propre proposition d’indemnisation. La veille de la clôture fixée au 10 avril 2025, les intimés ont signifié de nouvelles conclusions accompagnées d’une pièce. L’appelant a répliqué après la clôture, sollicitant le rejet des écritures adverses ou la révocation de l’ordonnance de clôture.
L’assureur soutenait que les conclusions signifiées le 9 avril 2025 à 18h19, veille de la clôture, portaient atteinte au principe du contradictoire et devaient être écartées. Il demandait subsidiairement la révocation de l’ordonnance de clôture pour faire admettre ses propres conclusions postérieures. Les intimés répondaient que leurs écritures, antérieures à la clôture, étaient recevables et ne soulevaient aucun moyen nouveau.
La question posée à la cour était double : des conclusions signifiées la veille de la clôture peuvent-elles être écartées pour tardiveté au regard du principe du contradictoire ? Une cause grave justifie-t-elle la révocation de l’ordonnance de clôture lorsque les conclusions adverses ont été déclarées régulières ?
La cour a rejeté la demande d’irrecevabilité des conclusions du 9 avril 2025, estimant qu’elles ne soulevaient ni moyens ni prétentions nouvelles et que la pièce litigieuse émanait de l’appelant lui-même. Elle a refusé la révocation de l’ordonnance de clôture faute de cause grave. Elle a déclaré irrecevables les conclusions postérieures à la clôture. Elle a ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur une fin de non-recevoir relevée d’office, tenant à l’intérêt à agir de l’appelant.
Cette décision appelle un examen du régime procédural applicable aux conclusions tardives et à la clôture de l’instruction (I), avant d’analyser le pouvoir du juge de relever d’office une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir (II).
I. Le contrôle du respect du contradictoire dans la communication des écritures
La cour se prononce sur la régularité des conclusions signifiées tardivement (A), puis sur les conditions de révocation de l’ordonnance de clôture (B).
A. L’appréciation souveraine du caractère tardif des conclusions
La cour rappelle que « les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent ». Cette exigence, posée par l’article 15 du code de procédure civile, constitue le socle du principe du contradictoire. Elle ajoute que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ».
La notion de temps utile fait l’objet d’une appréciation souveraine des juges du fond. En l’espèce, les conclusions litigieuses ont été signifiées la veille de la clôture, à 18h19. L’appelant disposait donc d’un délai extrêmement bref pour en prendre connaissance et y répondre avant la clôture du lendemain. La cour relève toutefois que ces écritures « ne soulèvent cependant ni moyens nouveaux ni prétentions nouvelles ». L’absence de nouveauté substantielle neutralise le grief tiré de la tardiveté.
La pièce n°22, objet d’une contestation spécifique, consistait en un courrier de l’avocat de l’appelant adressé à l’expert, accompagné de devis. La cour observe que « ces pièces émanant de l’appelante, il ne peut être considéré qu’elle mettrait en échec le principe de la contradiction ». Cette solution est conforme à la jurisprudence qui refuse de sanctionner la production de documents que la partie adverse connaissait nécessairement.
B. Le refus de révoquer l’ordonnance de clôture faute de cause grave
L’article 914-4 du code de procédure civile subordonne la révocation de l’ordonnance de clôture à l’existence d’une « cause grave » révélée postérieurement à son prononcé. L’appelant invoquait la nécessité de répliquer aux conclusions signifiées la veille de la clôture.
La cour rejette cette demande par une motivation lapidaire mais logique : « le non-respect du principe du contradictoire au vu des dernières conclusions et communication de pièce signifiées le 9 avril 2025 par les intimés n’ayant pas été retenu, la SA Generali France ne justifie d’aucun motif grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture ». Le raisonnement est circulaire mais cohérent : si les conclusions adverses sont régulières, leur signification tardive ne constitue pas une cause grave au sens de l’article 914-4.
Cette position illustre la rigueur de la jurisprudence en matière de clôture. La cause grave suppose un événement imprévisible ou insurmontable, non un simple inconfort procédural. Les conclusions postérieures à la clôture sont déclarées irrecevables en application de l’article 914-3. L’appelant subit ainsi les conséquences de sa propre stratégie consistant à attendre le dernier moment pour réagir.
II. Le relevé d’office d’une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir
La cour soulève d’office une question relative à la recevabilité de l’appel (A), ce qui témoigne de l’étendue du pouvoir du juge en présence de fins de non-recevoir d’ordre public (B).
A. L’interrogation sur l’intérêt à agir de l’appelant
La cour relève que « la somme provisionnelle de 92 250,36 €, sollicitée par Mme [C] [R] veuve [N], Monsieur [G] [N] et Mme [F] [N] a été accordée en l’état de la proposition d’indemnisation de la SA Generali France du 11 mars 2024, celle-ci n’ayant émis aucune réserve de ce chef devant le premier juge ».
Cette observation soulève une question fondamentale : l’assureur peut-il contester en appel le montant d’une provision qu’il a lui-même proposé et dont il n’a pas discuté le quantum en première instance ? La cour ordonne la réouverture des débats « afin que les parties puissent faire leurs observations sur l’intérêt à agir de l’appelante, en l’état de ses demandes devant le premier juge et dès lors sur la recevabilité de son appel ».
L’intérêt à agir s’apprécie au jour de l’introduction de la demande. En appel, il suppose que le jugement ait causé un grief à l’appelant. Le fait d’avoir proposé une indemnisation et de ne pas avoir contesté son montant en première instance pourrait révéler une absence de grief, ou du moins une contradiction dans la position procédurale de l’assureur susceptible de caractériser un défaut d’intérêt à agir.
B. L’office du juge face aux fins de non-recevoir d’ordre public
L’article 125 du code de procédure civile dispose que « les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elles résultent de l’absence d’ouverture du droit de recours ». La cour fait application de ce texte en relevant d’office la question de l’intérêt à agir de l’appelant.
Cette initiative traduit une conception active de l’office du juge. Sans attendre que les intimés soulèvent l’argument, la cour identifie une potentielle irrégularité dans l’exercice du droit d’appel. Le défaut d’intérêt à agir constitue une fin de non-recevoir qui peut être opposée en tout état de cause, sans que puisse être invoquée une prétendue satisfaction procédurale antérieure.
La décision de rouvrir les débats respecte le contradictoire. Les parties disposeront de délais successifs pour s’expliquer sur ce point. Cette méthode permet à la cour de statuer en connaissance de cause, après avoir entendu les arguments de chacun sur une question qu’elle a elle-même soulevée. La portée de l’arrêt demeure incertaine puisqu’il ne tranche pas définitivement le litige, mais l’orientation donnée suggère que la cour envisage sérieusement l’irrecevabilité de l’appel.